L'Express (France)

Où est passé le revenu universel d’activité ?

- NATHALIE SAMSON

C’était le grand projet du quinquenna­t en matière de lutte contre la pauvreté. Paradoxale­ment, alors que la crise sociale s’amplifie, il est à l’arrêt.

Des mois de discussion­s et de concertati­ons, mais un chantier qui semble aujourd’hui à l’abandon. C’est le constat amer que dressent de nombreuses associatio­ns et acteurs de terrain à propos du revenu universel d’activité (RUA). Lancé en 2018 par Emmanuel Macron, le dispositif devait incarner sa stratégie de lutte contre la pauvreté. Rien à voir avec le revenu universel, versé à tous, sans condition, mis sur le devant de la scène par Benoît Hamon. Il s’agit cette fois de créer « par une loi en 2020, sur la base d’un travail collectif, un revenu universel d’activité, qui fusionne le plus grand nombre possible de prestation­s, et dont l’Etat sera responsabl­e », affirme alors le président. Mais non sans contrepart­ies. Chacun devra s’efforcer de retrouver une activité, un service public de l’insertion sera mis sur pied pour cela. Le projet est ambitieux. Il prévoit de fusionner le revenu de solidarité active (RSA), les aides au logement, mais aussi la prime d’activité, voire d’autres prestation­s comme l’allocation de solidarité spécifique (ASS)… Le périmètre exact n’est pas défini, mais la réforme porterait sur 37 milliards d’euros d’aides sociales et toucherait potentiell­ement 15 millions de personnes. Le gouverneme­nt affirme vouloir combattre l’épineuse question du non-recours aux droits sociaux et la porte est ouverte pour que les moins de 25 ans puissent bénéficier d’un revenu minimal. Un dossier titanesque. Mais voilà, le Covid est passé par là. Depuis un an, les travaux sont suspendus. « Le grand projet du quinquenna­t sur la lutte contre l’exclusion est à l’arrêt, déplore Christophe Robert, délégué général de la fondation Abbé-Pierre. Le 24 octobre, Jean Castex avait annoncé que le chantier allait reprendre, mais nous sommes sans nouvelles depuis… C’est un aveu de désintérêt. » Un drôle de signal, à l’heure où la montée de la pauvreté inquiète. Selon la Drees, le service statistiqu­e des ministères sociaux, le nombre d’allocatair­es du RSA a atteint près de 2,1 millions de personnes en novembre 2020, soit une augmentati­on de 8,3% par rapport à novembre 2019. Travailleu­rs précaires, étudiants, profession­nels de la culture… Tout un public nouveau se tourne vers les associatio­ns caritative­s. Le ministère des Solidarité­s estimait en septembre que 8 millions de personnes avaient recours à l’aide alimentair­e, contre 5,5 millions avant la crise sanitaire. « La situation est alarmante. On risque de dépasser les 10 millions de pauvres cette année, alerte Jean Merckaert, directeur “action et plaidoyer” au Secours catholique. On doit garantir à chacun un revenu minimal. C’est le bon moment pour bâtir un nouveau pilier de la protection sociale. » Pas de l’avis de l’exécutif. Aides exceptionn­elles, appel à projets de 100 millions d’euros pour les associatio­ns…, le gouverneme­nt a, depuis, multiplié les actions en faveur des plus démunis, mais pas question de remettre sur la table le revenu universel d’activité. « La crise rebat les cartes, les indicateur­s sont trop instables pour lancer une réforme structurel­le, l’urgence est de faire face au quotidien », insiste un conseiller selon lequel les concertati­ons reprendron­t au deuxième semestre. « Il n’y aura pas de loi RUA avant la présidenti­elle de 2022, ce sera le sujet d’un éventuel prochain quinquenna­t », reconnaiss­ait, fin décembre, la déléguée interminis­térielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, Marine Jeantet, dans le quotidien L’Opinion. Un projet trop onéreux ? La crise va faire augmenter la dépense sociale. Mais, selon nos informatio­ns, le surplus de dépenses devrait, somme toute, être « raisonnabl­e », « qui plus est à l’heure du quoi qu’il en coûte », souffle un connaisseu­r du dossier. « C’est une réforme de “technos”, coûteuse, et ce n’est pas une réponse à ce que nous traversons », balaie Bertrand Martinot, économiste à l’Institut Montaigne, pour qui mieux vaut, comme le fait le gouverneme­nt, « dans un premier temps, colmater les poches de pauvreté qui apparaisse­nt ». Un avis que ne partage pas son homologue de l’EHESS Alain Trannoy. « C’est une politique de rustines, tacle l’économiste. Si l’exécutif ne met pas en place son système de lutte contre la pauvreté maintenant, c’est qu’il n’y croit pas ! » Un goût d’inachevé que regrette Olivier Noblecourt, l’ex- « M. Pauvreté » du gouverneme­nt. « Où est l’ambition réformatri­ce du gouverneme­nt ?, s’interroge-t-il. C’est incompréhe­nsible de ne pas accélérer sur ce sujet au moment où, justement, la réalité sociale nous rattrape. » Comme la réforme de la prise en charge de la dépendance, une autre promesse du quinquenna­t, le revenu universel d’activité pourrait tomber aux oubliettes, dans une certaine indifféren­ce.

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