Sergio Mattarella, le vieux sage dans la tempête
Bien que ses pouvoirs soient restreints, le président de la République joue un rôle précieux de garde-fou dans la turbulente vie politique de son pays.
Son discours du Nouvel An a battu des records d’audience, et Sergio Mattarella est, avec près de 70 % d’opinions favorables, l’homme politique le plus populaire d’Italie. Qui aurait cru, lors de son élection, il y a cinq ans – par le Parlement et des délégués régionaux –, qu’il deviendrait un grand président de la République ? Alors que la Botte vit son moment le plus critique depuis la fin de la guerre, ce Palermitain de 79 ans est le recours incontesté d’une classe politique en déroute. Malgré ses pouvoirs restreints, il joue en effet un rôle crucial : celui d’arbitre des crises politiques – incessantes – qui secouent le pays. Depuis l’échec du gouvernement de Matteo Renzi, à la fin de 2016, et surtout des législatives de 2018, rien ne va plus. Les partis se succèdent au pouvoir, formant des coalitions contre-nature : le Mouvement 5 Etoiles s’associe avec la Ligue de Matteo Salvini, puis il fraie avec les démocrates… Le dernier « attelage » vient d’exploser ce 26 janvier, après seize mois d’une gouvernance très chahutée. Contestant Giuseppe Conte, le président du Conseil Matteo Renzi et son petit parti Italia Viva ont quitté l’alliance au pouvoir, privant celle-ci de la courte majorité qui lui permettait, tant bien que mal, de gouverner. Et c’est le moment où entre en scène le président de la République. Impartial, il ne peut rien imposer, mais il a un poids sur les décisions. Dans les tractations qui caractérisent cette culture de coalition propre à l’Italie, il devient, s’il est habile, un pivot de la construction du gouvernement. Au pis, il peut siffler la fin du match et convoquer de nouvelles élections. Chez les Mattarella, la politique est une affaire de famille. Plusieurs fois ministre, le père, Bernardo, était une colonne de la Démocratie chrétienne en Sicile. Le frère, Piersanti, président de la région Sicile, a été assassiné par la mafia à Palerme en 1980, alors qu’il se rendait à la messe avec sa femme et ses enfants. A l’époque, Sergio, timide, réservé, enseigne le droit constitutionnel, sa passion. C’est, dit-on, ce drame familial qui l’a motivé à se lancer en politique, à 40 ans passés. Elu député en 1983, il sera l’un des rares rescapés de l’opération Mains propres, qui balaie son parti au début des années 1990. Il participe à plusieurs gouvernements, laisse son nom à une loi, le Mattarellum, qui introduisait une bonne part de scrutin majoritaire dans le Code électoral, puis il quitte l’Hémicycle pour rejoindre la Cour constitutionnelle. L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais, en 2015, Matteo Renzi, au pouvoir, sort le juge de sa retraite politique. Il veut un chef de l’Etat inclusif, une personnalité unanimement respectée et… qui « ne lui ferait pas d’ombre », murmurent les mauvaises langues. Regard azur voilé de nostalgie, un demi-sourire empreint de douceur, Sergio Mattarella a le physique du rôle. Son intégrité est incontestable. Il mène une vie « sobre, presque monacale », selon un proche, et il a « le culte des institutions ». C’est l’antithèse d’un Berlusconi, homme envers lequel il n’a, d’ailleurs, jamais dissimulé son hostilité. Depuis le début de son mandat, ce catholique pratiquant s’exprime en termes simples et empathiques, loin de la ponctuation criarde des tweets qui façonnent la vie publique du pays. « Sergio est tenace et insistant, comme une goutte d’eau qui tombe. En politique, la goutte d’eau est plus efficace que le torrent en crue », disait de lui Giampaolo Pansa, historien et journaliste de référence dans les années 1980. Quand la Ligue de Salvini et le Mouvement 5 Etoiles arrivent au pouvoir, Mattarella empêche la nomination de profils jugés dangereux aux Affaires étrangères et à l’Economie. En coulisse, il conseille Giuseppe Conte, passé sans transition de sa chaire de professeur à la tête du gouvernement. Européiste convaincu, Sergio Mattarella est probablement le principal artisan de la reconversion européenne de l’Italie, après la fièvre nationaliste déclenchée par le populiste Salvini. La chute de l’actuelle coalition arrive au pire moment : la pandémie a causé la mort de 87 000 personnes, mis au chômage des centaines de milliers de travailleurs et achevé des milliers de PME-PMI, colonne vertébrale de l’économie du pays. Certes, la solidarité européenne s’est manifestée : la Botte devrait, avec 209 milliards d’euros, en être la principale bénéficiaire. Encore faut-il avoir un pilote sérieux dans l’avion. Un an avant la fin de son mandat, le président Mattarella n’a jamais été aussi indispensable. Il doit éviter des élections anticipées, que redoutent les grands partis, aider l’Italie à affronter la crise sanitaire, économique et sociale, et assurer sa crédibilité dans la gestion du plan de relance européen. S’il y parvient, il sera considéré à jamais comme un héros national.