L'Express (France)

Sur la question des frontières, la parole politique s’est décrédibil­isée

Une idée qui passe, en moins d’un an, de l’infamant au nécessaire : voilà qui abîme à coup sûr le débat public.

- PAR ANNE ROSENCHER

n ne dira jamais assez l’effet délétère qu’a eu sur la crédibilit­é de la politique le fait que, en quelques décennies, certaines idées sont passées de « combats historique­s » à « marottes passéistes et suspectes », pour être finalement ressorties des limbes de la réaction. Mais avec la pandémie, c’est pire : le temps se rétrécit. Et désormais, c’est en quelques mois seulement qu’une idée peut passer de l’infamant au nécessaire. Pour preuve : la question des frontières nationales. Dès sa première allocution solennelle en temps de crise sanitaire – celle du 12 mars 2020 –, Emmanuel Macron en faisait un sujet sulfureux : il ne fallait pas, selon lui, « céder à la facilité » de questionne­r le rétablisse­ment des frontières françaises pour empêcher la circulatio­n des personnes contaminée­s. Le président mettait en garde contre cette tentation de « repli nationalis­te », avant d’ajouter : « Le virus n’a pas de passeport. » Autre exemple, Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européenne­s, le 11 octobre sur Franceinfo : « Quand on entend l’extrême droite, on a l’impression que c’est un luxe de passer une frontière. […] Je me bats pour que ces frontières ne soient pas fermées. » On pourrait multiplier les citations de la majorité renvoyant depuis des années la notion même de frontière à une lubie de facho. La suite, on la connaît : le 29 janvier dernier, Jean Castex a donc annoncé ce grand-repli-nationalis­te-d’extrême-droite qu’est la fermeture temporaire des frontières françaises, sauf exceptions. Entendons-nous : la question n’est pas ici de blâmer nos gouvernant­s pour avoir changé d’avis quant à la pertinence d’une telle mesure. Mais d’avoir employé les « grands maux » pour intimider ceux qui la questionna­ient jusqu’alors. Résultat, un beau cadeau aux adversaire­s. Il faut avoir le souci des mots. C’est important, les mots. Sinon, il reste quoi ?

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