L'Express (France)

En Birmanie, le parfait timing du coup d’Etat militaire

L’armée a profité des diversions causées par la transition américaine et la pandémie pour passer à l’action.

- PAR CHARLES HAQUET

Le général Min Aung Hlaing aurait-il consulté un astrologue pour choisir la date de son coup d’Etat ? La question n’est pas anecdotiqu­e, tant les dirigeants birmans tiennent compte des sciences occultes pour prendre leurs décisions. L’ancien dictateur Ne Win n’a-t-il pas, le 6 décembre 1970, changé subitement le sens de circulatio­n des voitures après avoir consulté un numérologu­e ? Qu’il ait ou non le sens des chiffres, le chef de la « Tatmadaw » (armée birmane) a, en tout cas, celui du timing. Le moment pour décréter un « état d’urgence d’un an » est parfaiteme­nt choisi, et justifié, selon lui, par des « irrégulari­tés massives » lors des législativ­es du 8 novembre, remportées haut la main par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi. Ce troisième coup d’Etat en soixante-trois ans intervient quelques jours après l’intronisat­ion de Joe Biden. Certes, le président américain réfléchit à des « mesures appropriée­s ». Mais la Birmanie « ne figure pas au rang de ses priorités asiatiques, note Olivier Guillard, chercheur au Centre d’études et de recherche sur l’Inde et l’Asie du Sud. » Le rusé général Min Aung Hlaing l’a bien compris. Il sait aussi que, en Occident, la « dame de Rangoun » ne bénéficie plus de la même aura qu’après sa libération, en 2010. Son silence lors des persécutio­ns de Rohingya par les militaires birmans l’a discrédité­e à Bruxelles et à l’ONU. Min Aung Hlaing bénéficiai­t donc d’une « fenêtre de tir », d’autant que l’Occident est accaparé par la crise sanitaire, après l’avoir été par la présidenti­elle américaine. Ce machiavéli­sme était également à l’oeuvre lors des récentes arrestatio­ns de militants prodémocra­tie à Hongkong ou, en septembre, lors de la conquête du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdja­n. Que va faire Min Aung Hlaing ? Peut-être s’inspirer de son voisin thaïlandai­s ? En 2019, Prayut Chan-O-Cha était devenu Premier ministre, cinq ans après son coup d’Etat réussi. Il fait aujourd’hui régner une discipline de fer sur son pays… sans pour autant subir l’opprobre de la communauté internatio­nale.

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