LA PUTAIN DU CALIFAT
PAR SARA DANIEL ET BENOÎT KANABUS. GRASSET, 208 P., 18,50 €.
Elles sont 53, réunies dans une maison du nord de Mossoul. Leurs corps nus soupesés du regard par les soldats de l’Etat islamique. Parmi elles, Marie. Blonde aux yeux verts. Et chrétienne. En cet été 2014, elle s’apprêtait à faire sa rentrée comme professeure d’anglais à Qaraqosh, première ville chrétienne d’Irak. Sous le joug de Daech, elle est réduite en esclavage sexuel et domestique. Durant les deux années de sa captivité, elle sera vendue à 13 reprises. Mais toujours mue par le refus de se laisser briser malgré les viols et tortures de ses différents maîtres. Libérée grâce à un humanitaire irakien, elle est rejetée par les siens qui craignent la contagion de son « déshonneur ». En Jordanie, où elle attend son visa pour un pays d’exil, Marie a accepté de livrer son histoire au grand reporter Sara Daniel et à l’universitaire Benoît Kanabus.
Et après ? Comment raconter le quasi-indicible ? A cette question, les deux auteurs – familiers de l’Irak – apportent une magistrale réponse avec La Putainducalifat. Oui, on blêmit à mesure que, page après page, se précisent le sadisme et la folie minutieusement codifiés de l’Etat islamique. Mais ce document, fruit d’un travail de plusieurs années, est aussi précieux que terrible. Au-delà du témoignage, il retrace à hauteur d’hommes et de femmes la montée du fondamentalisme islamique et le sort des chrétiens d’Orient. Leurs voix, enfin libérées de l’ombre de l’indifférence, irriguent ce récit quasi littéraire écrit à quatre mains et porté par un « je » hybride. Par la grâce de leur écriture, Sara Daniel et Benoît Kanabus évitent le trash ou le voyeurisme et rendent lisible l’insupportable. Un tour de force.