L'Express (France)

Ces geeks qui font trembler Wall Street

Galvanisés par leur victoire dans le dossier GameStop, les gamers veulent multiplier les fronts face aux fonds d’investisse­ment.

- RAPHAËL BLOCH

Ces derniers jours, Gabriel Plotkin a le sommeil agité. Et on peut le comprendre. Le patron de Melvin Capital Management, un célèbre fonds d’investisse­ment new-yorkais, vient de vivre un véritable cauchemar. Habitué à faire la pluie et le beau temps sur les marchés financiers, l’Américain a perdu plusieurs milliards de dollars à Wall Street face à une armée de traders en herbe sortis des tréfonds du Web. « L’erreur » de Gabriel Plotkin, commune à d’autres fonds, a été de parier à la baisse sur l’action de GameStop, un distribute­ur de jeux vidéo assez connu aux EtatsUnis et propriétai­re de Micromania en France. D’abord très fructueux, ce pari vient de se retourner contre eux avec une violence inouïe ; ni Plotkin ni les autres hedge funds n’avaient imaginé que des centaines de milliers de geeks réunis au sein d’un groupe de discussion sur le réseau social Reddit décideraie­nt de leur « faire la peau » dans un remake boursier de David contre Goliath. Tout a commencé en 2018. A l’époque, plusieurs personnes s’émeuvent, sur un forum de Reddit baptisé WallStreet­Bets, des positions prises par divers fonds « vautours » sur GameStop. En grande difficulté, la société est une cible de choix pour un acteur comme Melvin Capital Management et d’autres spécialist­es de la « vente à découvert », dont le principe est simple : un fonds « emprunte » à un intermédia­ire des actions de la société ciblée – en l’occurrence GameStop – dans l’optique de les vendre au prix du marché, puis il les rachète plus tard pour les rendre à son propriétai­re, en pariant sur le fait qu’entre-temps, le prix de l’action aura baissé. De quoi se faire, au passage, un très joli bénéfice. Pendant quelques mois, cette stratégie s’est révélée très efficace. Grâce au recul continu du cours de l’action de GameStop, Melvin Capital Management et ses amis ont gagné des centaines de millions de dollars. Mais tout a commencé à basculer en 2019 avec l’interventi­on du mythique investisse­ur Michael Burry, connu pour avoir été l’un de ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme sur les subprimes. « Révolté » par le sort réservé à GameStop, l’homme d’affaires annonce sur Reddit qu’il va investir dans la société. Ravis d’avoir rallié à leur cause un membre du « sérail », les gamers se remobilise­nt. Mais il leur manque encore quelque chose : l’argent. La pandémie va régler le problème. En raison de la crise et pour soutenir l’économie, le gouverneme­nt américain décide d’injecter des sommes folles et de distribuer des chèques de quelques centaines de milliards de dollars aux ménages. Les geeks vont évidemment toucher le leur. On connaît la suite… Ultra-mobilisés sur la Toile et soutenus par des investisse­urs comme Elon Musk, ravi de mettre à genoux des acteurs qui s’en sont aussi déjà pris à Tesla, ces traders d’un nouveau type investisse­nt massivemen­t dans GameStop au point de faire exploser son cours. Ces derniers mois, l’action de la société a ainsi pris plus de 800%, et le groupe, qui vole de record en record, valait début février plus 10 milliards de dollars (contre 1 milliard en 2020) ! Entre-temps, Melvin Capital Management, qui a reçu le soutien de plusieurs fonds, parmi lesquels le géant Citadel, a dû abandonner ses positions et se retirer de GameStop. « C’est un scénario digne d’un film hollywoodi­en », commente Nicolas Chéron, stratégist­e marchés chez ZoneBourse, un site d’informatio­n financière. Cette « capitulati­on » sera-t-elle suffisante pour arrêter le cauchemar ? Pas si sûr. Galvanisés par leur succès improbable face aux seigneurs de Wall Street, les nouveaux chevaliers blancs des marchés ont annoncé qu’ils ne s’arrêteraie­nt pas en si bon chemin. D’autant que l’opération GameStop leur a rapporté un trésor de guerre de plusieurs milliards… Le mouvement a d’ailleurs déjà commencé. Plusieurs entreprise­s, elles aussi ciblées par des hedge funds, voient leurs cours grimper. En l’espace de quelques jours, fin janvier, celui de la société américaine de salles de cinéma AMC Entertainm­ent a pris plus de 200 %. Le phénomène pourrait faire tache d’huile et toucher des sociétés encore plus importante­s. Les cours de l’ex-fabricant de smartphone­s BlackBerry et du géant des télécommun­ications Nokia s’envolent de façon inhabituel­le ces derniers jours. Consciente­s du problème, les autorités américaine­s ont annoncé qu’elles allaient se montrer plus vigilantes, alors que l’une des principale­s applicatio­ns de trading, Robinhood, a décidé de limiter les opérations sur les actions ciblées par les gamers. Une annonce qui a suscité les moqueries sur Reddit. Certains gérants de hedge funds pourraient ne pas retrouver le sommeil avant quelque temps. W

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