Endettement public : calmons-nous !
Profitons des conditions d’emprunt extraordinaires, sachant qu’il faudra bien sortir demain du « quoi qu’il en coûte ».
Dans notre grand malheur, nous avons au moins eu une chance : la plupart des Etats européens subissent la crise sanitaire dans un contexte de taux d’intérêt nuls, voire négatifs. Cette anomalie a deux causes. La première, c’est que l’épargne mondiale est abondante. Des pays comme la Chine, qui se sont formidablement enrichis depuis la fin des années 1990, ont vu les revenus augmenter plus vite que la consommation. En outre, depuis la crise de 2008, la réglementation des banques et des assurances oblige les grands investisseurs à acquérir massivement des obligations d’Etat, jugées moins risquées que les prêts aux entreprises.
Le rôle accru des banques centrales
La deuxième raison qui explique que l’épargne n’est plus rémunérée est liée au comportement des banques centrales, au premier rang desquelles la Banque centrale européenne (BCE). Pendant deux siècles, ces institutions ont été les prêteurs en dernier ressort des banques (c’est d’ailleurs dans ce but qu’elles avaient été créées). Mais, depuis dix ans, elles sont devenues les prêteurs en dernier ressort des Etats. De fait, la BCE a sauvé la Grèce et l’Italie du défaut de paiement. Ce rôle s’est considérablement accentué depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Ainsi, une très grande partie des obligations émises par les Etats de la zone euro finissent à l’actif de la BCE. Ce contexte particulier permet à la France de s’endetter massivement. Depuis un an, notre dette a augmenté de plus de 20 points de PIB. Le 19 janvier dernier, l’Agence France Trésor a levé 7 milliards d’euros à cinquante ans pour un taux d’intérêt annuel de 0,6 % (c’est-à-dire environ -0,5 % en termes réels). Les investisseurs étaient disposés, en réalité, à nous prêter 75 milliards d’euros pour une rémunération négative ! Soyons pragmatiques : à de telles conditions, l’erreur de politique économique n’est pas d’augmenter notre endettement. Elle consisterait plutôt à ne pas en profiter.
Les investisseurs acceptent de prêter à perte
Il faut bien comprendre un point arithmétique : quand le taux d’intérêt réel sur la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie, la charge d’intérêt dans le budget de l’Etat s’alourdit. Dans ces conditions, stabiliser le ratio dette/PIB doit se traduire par une baisse de la dépense publique future ou par une hausse des prélèvements obligatoires. Quand, à l’inverse, le taux d’intérêt est inférieur à la croissance économique « structurelle » du pays, le ratio dette/PIB peut diminuer, même en présence d’un déficit public. Nous n’en sommes pas là. Reste que, entre 2001 et 2021, la charge de la dette rapportée aux recettes publiques est passée en France de 6 % à 2,5 % du PIB, alors même que le poids de l’endettement public a fortement progressé. Pour le dire autrement, ce ne sont plus les contribuables qui paient le fardeau de la dette, mais les investisseurs qui acceptent de nous prêter en perdant de l’argent.
La priorité : nous extraire de la crise
Ceci étant dit, nous ne pourrons évidemment pas nous endetter indéfiniment. Parce que rien ne dit que les taux d’intérêt resteront aussi faibles. Parce que nous devons conserver la confiance des investisseurs. Aussi devons-nous profiter du contexte financier actuel pour renforcer notre politique sanitaire, soutenir les entreprises, aider nos concitoyens. Mais, une fois la crise passée et la reprise économique bien ancrée, il nous faudra réduire notre endettement. Ce n’est pas le sujet de 2021 ni même celui des mois suivants. Ce sera en revanche celui, politiquement ingrat, du ministre de l’Economie et des Comptes publics, après l’élection présidentielle de 2022. La priorité du moment, c’est de nous extraire de la crise. Alors, et alors seulement, il sera nécessaire de réduire les aides aux uns et aux autres. Le rythme de la vaccination et la circulation du virus dicteront le calendrier. Mais il s’agira moins de faire des économies que de faire repartir la croissance. En effet, il y aura, une fois la crise passée, une grande oeuvre de reconstruction économique et sociale à mener. Elle ne pourra pas se réaliser sous perfusion d’argent public. Mais nous n’en sommes pas là.