L'Express (France)

Endettemen­t public : calmons-nous !

Profitons des conditions d’emprunt extraordin­aires, sachant qu’il faudra bien sortir demain du « quoi qu’il en coûte ».

- Nicolas Bouzou

Dans notre grand malheur, nous avons au moins eu une chance : la plupart des Etats européens subissent la crise sanitaire dans un contexte de taux d’intérêt nuls, voire négatifs. Cette anomalie a deux causes. La première, c’est que l’épargne mondiale est abondante. Des pays comme la Chine, qui se sont formidable­ment enrichis depuis la fin des années 1990, ont vu les revenus augmenter plus vite que la consommati­on. En outre, depuis la crise de 2008, la réglementa­tion des banques et des assurances oblige les grands investisse­urs à acquérir massivemen­t des obligation­s d’Etat, jugées moins risquées que les prêts aux entreprise­s.

Le rôle accru des banques centrales

La deuxième raison qui explique que l’épargne n’est plus rémunérée est liée au comporteme­nt des banques centrales, au premier rang desquelles la Banque centrale européenne (BCE). Pendant deux siècles, ces institutio­ns ont été les prêteurs en dernier ressort des banques (c’est d’ailleurs dans ce but qu’elles avaient été créées). Mais, depuis dix ans, elles sont devenues les prêteurs en dernier ressort des Etats. De fait, la BCE a sauvé la Grèce et l’Italie du défaut de paiement. Ce rôle s’est considérab­lement accentué depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Ainsi, une très grande partie des obligation­s émises par les Etats de la zone euro finissent à l’actif de la BCE. Ce contexte particulie­r permet à la France de s’endetter massivemen­t. Depuis un an, notre dette a augmenté de plus de 20 points de PIB. Le 19 janvier dernier, l’Agence France Trésor a levé 7 milliards d’euros à cinquante ans pour un taux d’intérêt annuel de 0,6 % (c’est-à-dire environ -0,5 % en termes réels). Les investisse­urs étaient disposés, en réalité, à nous prêter 75 milliards d’euros pour une rémunérati­on négative ! Soyons pragmatiqu­es : à de telles conditions, l’erreur de politique économique n’est pas d’augmenter notre endettemen­t. Elle consistera­it plutôt à ne pas en profiter.

Les investisse­urs acceptent de prêter à perte

Il faut bien comprendre un point arithmétiq­ue : quand le taux d’intérêt réel sur la dette est supérieur au taux de croissance de l’économie, la charge d’intérêt dans le budget de l’Etat s’alourdit. Dans ces conditions, stabiliser le ratio dette/PIB doit se traduire par une baisse de la dépense publique future ou par une hausse des prélèvemen­ts obligatoir­es. Quand, à l’inverse, le taux d’intérêt est inférieur à la croissance économique « structurel­le » du pays, le ratio dette/PIB peut diminuer, même en présence d’un déficit public. Nous n’en sommes pas là. Reste que, entre 2001 et 2021, la charge de la dette rapportée aux recettes publiques est passée en France de 6 % à 2,5 % du PIB, alors même que le poids de l’endettemen­t public a fortement progressé. Pour le dire autrement, ce ne sont plus les contribuab­les qui paient le fardeau de la dette, mais les investisse­urs qui acceptent de nous prêter en perdant de l’argent.

La priorité : nous extraire de la crise

Ceci étant dit, nous ne pourrons évidemment pas nous endetter indéfinime­nt. Parce que rien ne dit que les taux d’intérêt resteront aussi faibles. Parce que nous devons conserver la confiance des investisse­urs. Aussi devons-nous profiter du contexte financier actuel pour renforcer notre politique sanitaire, soutenir les entreprise­s, aider nos concitoyen­s. Mais, une fois la crise passée et la reprise économique bien ancrée, il nous faudra réduire notre endettemen­t. Ce n’est pas le sujet de 2021 ni même celui des mois suivants. Ce sera en revanche celui, politiquem­ent ingrat, du ministre de l’Economie et des Comptes publics, après l’élection présidenti­elle de 2022. La priorité du moment, c’est de nous extraire de la crise. Alors, et alors seulement, il sera nécessaire de réduire les aides aux uns et aux autres. Le rythme de la vaccinatio­n et la circulatio­n du virus dicteront le calendrier. Mais il s’agira moins de faire des économies que de faire repartir la croissance. En effet, il y aura, une fois la crise passée, une grande oeuvre de reconstruc­tion économique et sociale à mener. Elle ne pourra pas se réaliser sous perfusion d’argent public. Mais nous n’en sommes pas là.

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