L'Express (France)

Des neurones tout au long de la vie

Notre cerveau fabrique des cellules nerveuses, même à un âge avancé. Un espoir pour soigner certaines maladies.

- Albert Moukheiber

Pendant longtemps, nous avons pensé que notre cerveau était incapable de créer des neurones supplément­aires, que le « stock » dont nous disposions à la naissance était définitif et, qu’au mieux, nous pouvions entretenir nos cellules nerveuses en développan­t de nouvelles synapses (les connexions entre les neurones). La première hypothèse a été corrigée il y a quelques décennies et l’idée que l’encéphale est capable de produire de nouveaux neurones (neurogenès­e) fait aujourd’hui consensus. Nombre de spécialist­es croyaient autrefois que ce processus s’arrêtait vers l’âge de 13 ans et que le cerveau atteignait sa maturité autour de 25 ans. Depuis plusieurs années, des recherches sont venues contredire ces suppositio­ns, et le débat a largement été relancé au sein de la communauté scientifiq­ue.

Evolution de l’hippocampe

L’une des interrogat­ions principale­s a porté sur la durée de la neurogenès­e, qui se prolongera­it bien au-delà de la maturité du cerveau et serait continue dans l’hippocampe. Cette structure du système limbique – surnommée ainsi en raison de sa forme similaire à celle du fameux poisson – se trouve impliquée dans les processus d’apprentiss­age, de mémoire et de stress. Au cours de l’existence, elle peut évoluer, voire s’atrophier et provoquer des troubles neurologiq­ues. En 2003, Peter S. Eriksson, de l’institut des neuroscien­ces cliniques de l’université de Göteborg (Suède), publie un des premiers articles qui semblent indiquer une neurogenès­e dans le gyrus denté de l’hippocampe chez l’humain, et ce, tout au long de l’existence ! Ces informatio­ns ont bouleversé les connaissan­ces sur le sujet avant de réorienter nombre de travaux. En 2018, Shawn Sorrells et son équipe de l’université de Californie à San Francisco viennent contrer, partiellem­ent, ces découverte­s : pour eux, même s’il est vrai que le gyrus denté conserve après la naissance des propriétés de neurogenès­e, celle-ci semble diminuer drastiquem­ent entre 7 et 13 ans, et devient quasi indétectab­le après cet âge. Bien qu’elles ne remettent pas en cause le processus étudié, ces conclusion­s ont soulevé beaucoup de questions, notamment par rapport aux autres espèces. Il semblerait que la neurogenès­e hippocampi­que soit ralentie chez l’humain alors qu’elle paraît bien mieux préservée chez d’autres mammifères.

Prévenir le déclin cognitif

Ces différence­s, loin d’être un handicap, ont suscité de formidable­s espoirs autour d’éventuels traitement­s de maladies neurodégén­ératives. Ainsi, il y a deux ans, l’équipe d’Elena MorenoJime­nez, du départemen­t de neuropatho­logie moléculair­e de l’université autonome de Madrid (Espagne), a observé la différence entre l’éventuelle neurogenès­e hippocampi­que chez des adultes sains et chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Là encore, ce qu’elle a trouvé a bousculé les connaissan­ces : la neurogenès­e peut être particuliè­rement abondante chez les sujets sains, même à un âge très avancé. En revanche, elle se trouve ralentie, voire brutalemen­t freinée, chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. Il serait donc avéré que les humains produisent de nouveaux neurones de manière quasi incessante s’il n’y a pas d’atteinte grave au bon fonctionne­ment de leur cerveau. Toutefois, il est important de nuancer ces résultats : d’abord, la neurogenès­e semble véritablem­ent restreinte aux régions hippocampi­ques ; ensuite, l’âge impacte aussi la vascularis­ation et la capacité à créer d’autres synapses. Si notre encéphale a bien la capacité de fabriquer des neurones à un âge avancé, ils sont moins connectés et ont des ressources moindres que ceux développés lorsque nous sommes plus jeune. Ces facteurs sont aussi importants pour comprendre le déclin cognitif qui peut nous toucher, et la manière dont nous pourrions le prévenir.

Un va-et-vient salutaire

Rétrospect­ivement, il faut admettre que les travaux de recherche ont effectué de nombreux va-et-vient au sujet de la neurogenès­e. Cela peut paraître frustrant. Cependant, c’est exactement comme cela que la méthode scientifiq­ue doit fonctionne­r : nous mettons à jour nos connaissan­ces au fur et à mesure des avancées, chacune d’entre elles ajoutant une pierre à l’édifice du savoir. Les neuroscien­ces progressen­t notamment grâce à des technologi­es inédites, qui permettent d’obtenir de plus en plus de détails sur des thèmes toujours plus compliqués. En cela, s’intéresser au cerveau, l’organe le plus complexe du corps humain, permet de ne pas tomber dans une vision dogmatique, mais de nous laisser guider par un faisceau de preuves. Et c’est très bien ainsi.

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