Des neurones tout au long de la vie
Notre cerveau fabrique des cellules nerveuses, même à un âge avancé. Un espoir pour soigner certaines maladies.
Pendant longtemps, nous avons pensé que notre cerveau était incapable de créer des neurones supplémentaires, que le « stock » dont nous disposions à la naissance était définitif et, qu’au mieux, nous pouvions entretenir nos cellules nerveuses en développant de nouvelles synapses (les connexions entre les neurones). La première hypothèse a été corrigée il y a quelques décennies et l’idée que l’encéphale est capable de produire de nouveaux neurones (neurogenèse) fait aujourd’hui consensus. Nombre de spécialistes croyaient autrefois que ce processus s’arrêtait vers l’âge de 13 ans et que le cerveau atteignait sa maturité autour de 25 ans. Depuis plusieurs années, des recherches sont venues contredire ces suppositions, et le débat a largement été relancé au sein de la communauté scientifique.
Evolution de l’hippocampe
L’une des interrogations principales a porté sur la durée de la neurogenèse, qui se prolongerait bien au-delà de la maturité du cerveau et serait continue dans l’hippocampe. Cette structure du système limbique – surnommée ainsi en raison de sa forme similaire à celle du fameux poisson – se trouve impliquée dans les processus d’apprentissage, de mémoire et de stress. Au cours de l’existence, elle peut évoluer, voire s’atrophier et provoquer des troubles neurologiques. En 2003, Peter S. Eriksson, de l’institut des neurosciences cliniques de l’université de Göteborg (Suède), publie un des premiers articles qui semblent indiquer une neurogenèse dans le gyrus denté de l’hippocampe chez l’humain, et ce, tout au long de l’existence ! Ces informations ont bouleversé les connaissances sur le sujet avant de réorienter nombre de travaux. En 2018, Shawn Sorrells et son équipe de l’université de Californie à San Francisco viennent contrer, partiellement, ces découvertes : pour eux, même s’il est vrai que le gyrus denté conserve après la naissance des propriétés de neurogenèse, celle-ci semble diminuer drastiquement entre 7 et 13 ans, et devient quasi indétectable après cet âge. Bien qu’elles ne remettent pas en cause le processus étudié, ces conclusions ont soulevé beaucoup de questions, notamment par rapport aux autres espèces. Il semblerait que la neurogenèse hippocampique soit ralentie chez l’humain alors qu’elle paraît bien mieux préservée chez d’autres mammifères.
Prévenir le déclin cognitif
Ces différences, loin d’être un handicap, ont suscité de formidables espoirs autour d’éventuels traitements de maladies neurodégénératives. Ainsi, il y a deux ans, l’équipe d’Elena MorenoJimenez, du département de neuropathologie moléculaire de l’université autonome de Madrid (Espagne), a observé la différence entre l’éventuelle neurogenèse hippocampique chez des adultes sains et chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Là encore, ce qu’elle a trouvé a bousculé les connaissances : la neurogenèse peut être particulièrement abondante chez les sujets sains, même à un âge très avancé. En revanche, elle se trouve ralentie, voire brutalement freinée, chez les personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. Il serait donc avéré que les humains produisent de nouveaux neurones de manière quasi incessante s’il n’y a pas d’atteinte grave au bon fonctionnement de leur cerveau. Toutefois, il est important de nuancer ces résultats : d’abord, la neurogenèse semble véritablement restreinte aux régions hippocampiques ; ensuite, l’âge impacte aussi la vascularisation et la capacité à créer d’autres synapses. Si notre encéphale a bien la capacité de fabriquer des neurones à un âge avancé, ils sont moins connectés et ont des ressources moindres que ceux développés lorsque nous sommes plus jeune. Ces facteurs sont aussi importants pour comprendre le déclin cognitif qui peut nous toucher, et la manière dont nous pourrions le prévenir.
Un va-et-vient salutaire
Rétrospectivement, il faut admettre que les travaux de recherche ont effectué de nombreux va-et-vient au sujet de la neurogenèse. Cela peut paraître frustrant. Cependant, c’est exactement comme cela que la méthode scientifique doit fonctionner : nous mettons à jour nos connaissances au fur et à mesure des avancées, chacune d’entre elles ajoutant une pierre à l’édifice du savoir. Les neurosciences progressent notamment grâce à des technologies inédites, qui permettent d’obtenir de plus en plus de détails sur des thèmes toujours plus compliqués. En cela, s’intéresser au cerveau, l’organe le plus complexe du corps humain, permet de ne pas tomber dans une vision dogmatique, mais de nous laisser guider par un faisceau de preuves. Et c’est très bien ainsi.