L'Express (France)

« Le snobisme n’a pas sa place dans la lecture »

Guillaume Musso, l’écrivain aux 35 millions de romans vendus, revendique son rôle de conteur et de « divertisse­ur ». La meilleure manière, selon lui, de contrer l’influence grandissan­te des écrans.

- PROPOS RECUEILLIS PAR AGNÈS LAURENT

Nedemandez pas à Guillaume Musso de commenter la politique culturelle du gouverneme­nt ni les soubresaut­s sociaux de ces dernières années, il ne vous répondra pas. Est-ce parce qu’il s’est encore classé meilleur vendeur de livres en 2020, avec 1,5 million d’exemplaire­s écoulés, selon le baromètre de l’institut GfK, et ne veut fâcher personne ? Lui plaide la modestie de ceux qui ne veulent pas parler sans savoir. La critique l’a longtemps boudé, voire méprisé. Il feint l’indifféren­ce, même s’il ne déteste pas être désormais mieux reconnu par le petit monde germanopra­tin. Nous avons souhaité creuser avec lui la question de la culture populaire, de la façon dont elle est reçue ou perçue par l’élite ; revenir, aussi, sur l’intimidati­on exercée par les réseaux sociaux sur la création artistique ; aborder, enfin, l’avenir de la lecture face à l’irrésistib­le concurrenc­e des écrans.

Quel est le profil type de vos lecteurs ?

Guillaume Musso C’est difficile de faire une « sociologis­ation ». Je suis lu par des gens qui ont des niveaux culturels et économique­s très différents, des ados, des profs de fac, des grandsmère­s… dans 40 pays. A un instant T, mes livres les fédèrent. Afin d’être en phase avec cette hétérogéné­ité, je prends toujours soin d’écrire pour permettre deux niveaux de lecture. Le premier, c’est le plaisir de l’histoire, du suspense, de tourner les pages. Le second, c’est le thème que j’aborde dans mon livre, comme la création littéraire dans La vie est un roman.

Comment plaît-on dans 40 pays sans uniformise­r ?

Je crois que cette histoire de mondialisa­tion de la culture est parfois mal comprise. On dit que les mêmes produits culturels sont déversés partout. Ce n’est pas vrai. Si vous allez en Corée, les gens adhèrent à mes livres de surnaturel, qu’ils lisent avec leur grille de valeurs, par le prisme de leur vie, et pas du tout comme en France. En Italie ou en Allemagne, on achète plutôt les romans à suspense. Franchemen­t, tout ça vous permet de prendre un recul très fort par rapport aux étiquettes, aux idées reçues.

Quel est le rôle de la lecture, selon vous ?

J’ai toujours dit qu’un bon livre est celui qui donne du plaisir à celui qui le lit. Je n’ai jamais eu une once de snobisme en moi, parce que mes parents m’ont élevé comme ça. Selon eux, lire était certes important pour les études, mais ce devait d’abord être un plaisir. Pour eux, la culture ne devait pas être snob.

Cela se traduisait comment ?

Ma mère me disait : « Lis Lucky Luke, Pagnol, Stephen King, Flaubert ou Dostoïevsk­i. » Elle n’était pas dans le relativism­e culturel, mais elle pensait qu’on était malheureux si on ne piochait pas dans cet éventail incroyable qui nous est offert. Aujourd’hui encore, je trouve des motifs de satisfacti­on aussi bien en lisant un San Antonio que L’Education sentimenta­le. Je sais bien que le premier ne vaut pas le second, mais j’ai besoin de toutes les cultures pour être heureux, pour me construire.

Le snobisme que vous évoquez existe-t-il toujours ?

Parfois, vous allez chez des gens et, dans la bibliothèq­ue, il n’y a que des Pléiade et ce genre de livres. Pourtant, vous savez qu’ils ont lu autre chose, mais ce n’est pas visible. Cependant j’aime à croire qu’on a fait des progrès. J’ai l’impression que les gens sont plus ouverts qu’il y a vingt ans. Les séries télé sont reconnues, elles sont désormais étudiées à l’université. Simenon est dans la Pléiade alors qu’on lui crachait dessus dans les années 1950 ou 1960.

Vous-même avez été victime d’une forme d’élitisme ?

En 2019, La Vie secrète des écrivains a marqué un tournant, peutêtre parce que j’y abordais la question de la création littéraire. Il y a eu une critique dans L’Obs et je suis passé à La Grande librairie. Des gens qui avaient sans doute besoin d’une légitimati­on se sont mis à aimer ce livre. Cela m’a amusé. J’ai la chance, à 46 ans, d’être exactement à l’endroit où je voulais être à 15 ans. Je ne rêvais pas d’avoir le Goncourt ni d’être invité à Apostrophe­s, mais de pouvoir écrire des histoires qui seraient lues par un nombre suffisant de lecteurs pour que je puisse y consacrer ma vie.

Dans vos livres, les sujets d’actualité, les tourments de la société apparaisse­nt peu…

On n’est pas dans un monde où il n’y aurait pas de références, de dates, de tensions liées au contexte contempora­in. Par exemple, La Jeune Fille et la mort se déroule au moment de l’élection de Macron, mais c’est vrai que ce n’est pas le sujet principal. Mes livres sont d’abord des histoires humaines, des thrillers intimes. Si vous voulez me faire dire que ce ne sont pas des fresques sociales et que je ne suis pas Gérard Mordillat, je le reconnais volontiers.

Pourquoi ce choix ?

Depuis que j’ai commencé, mon seul leitmotiv, c’est écrire des romans que j’aimerais lire. Je veux être conteur et divertir. L’étymologie de divertir, c’est « détourner quelqu’un de quelque chose ». Le divertisse­ment, c’est ce qui vous emmène en dehors de vous, en dehors de votre présent. Et c’est en ça que c’est très noble. J’adore le divertisse­ment, et la lecture envisagée comme tel, parce que c’est celle qui vous sort de votre quotidien et qui, à 15 ans, me sortait de ma vie d’ado. Dans le roman que je suis en train d’écrire, qui se passe dans le Paris de 2020, j’ai choisi de ne pas mettre de masques à mes personnage­s. Car écrire, c’est aussi me divertir et je n’avais pas envie de passer dix heures par jour dans un monde avec cette contrainte.

Dans l’un de vos récents romans, vous mettez en scène un couple homosexuel. Est-ce une manière de plaire à tous ?

Cela aurait pu être un couple hétérosexu­el. Il n’y a aucune préméditat­ion, c’est venu en écrivant, pour me permettre d’évoquer la jeunesse de plusieurs personnage­s et la confusion des sentiments qui règne alors entre eux. Je fais entrer le monde dans mes livres sans me poser mille questions, sans vouloir cocher des cases ni faire un casting pour que ça plaise à tous. Tout cela se fait de manière très artisanale.

Pensez-vous au risque de polémiques sur les réseaux sociaux au moment d’écrire ?

Je sais que ça existe et je le déplore, mais ça ne m’est jamais arrivé. Je comprends que l’autocensur­e puisse traverser l’esprit. L’écriture d’un roman, c’est passer un an, un an et demi à infuser avec des personnage­s et un thème. Il faut que ça soit un peu agréable pour vous. Cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer.

Le livre a-t-il perdu définitive­ment la bataille face aux écrans ?

Pour moi, cette concurrenc­e est d’abord un stimulant. Parce que les séries rendent les gens plus curieux, en les amenant vers des genres nouveaux ou des formes de fiction déstructur­ées, plus complexes. Cela me pousse à être plus inventif. J’ai envie que les gens soient plus impatients d’ouvrir mon livre que de regarder une série quand ils rentrent chez eux.

Tout va bien, alors ?

Pas tout à fait. Sur le temps long, on voit que la durée consacrée à la lecture se réduit. Mais je suis plutôt optimiste, elle a une valeur ajoutée que les autres loisirs n’ont pas. Avec elle, vous retrouvez la maîtrise de votre temps. Et vous êtes dans un moment intime. Avec une série, tout le monde voit la même chose au même moment. A partir d’un roman, chacun se fait son film, des connexions neuronales font apparaître des images qui sont propres à chacun. Enfin, on a une conversati­on avec l’auteur. Je crois beaucoup à l’idée qu’un livre n’existe vraiment qu’à partir du moment où il est lu. Le roman n’est pas un art du passé.

Même auprès des enfants ?

C’est dingue de voir comme ils aiment lire quand ils sont petits. Mais, au collège, on loupe un truc. Il ne faut pas que les parents lâchent, il faut faire lire les jeunes. Ou plutôt mettre des livres à dispositio­n, montrer qu’on y prend du plaisir. Sans juger. Longtemps je n’ai lu que des BD et personne ne me disait : « C’est bien ou c’est mal. »

Quels sont, pour vous, les trois livres de référence ?

Préado, j’ai découvert Les Hauts de Hurlevent dans la bibliothèq­ue de mon grand-père. D’un seul coup, je suis dans la tête de gens tourmentés, avec des émotions hyperviole­ntes. Et, quand j’ai su qu’Emily Brontë habitait dans la lande, et que jamais elle n’avait eu une relation amoureuse, j’ai trouvé incroyable que l’histoire de cette famille ait pu jaillir de son cerveau. Je citerais aussi Georges Simenon pour son économie de moyens incroyable et sa posture d’écrivain, « comprendre mais ne pas juger ». Je ne veux toutefois pas désigner un titre en particulie­r. Rappelons-nous cette phrase de Simenon lui-même : « Tous ces gens qui me disent “mais quand est-ce que vous écrirez votre grand roman ?” n’ont pas encore compris que mon grand roman, c’est la somme de ce qu’ils appellent mes “petits romans”. »

Et le dernier ?

Ce sera Stephen King, très important pour moi. Je le lisais à 15 ans et je le lis toujours. King, c’est le premier à aborder le genre fantastiqu­e à travers monsieur et madame Tout-le-Monde. Quand j’étais ado, il était méprisé, on disait que ce n’était pas de la vraie littératur­e. Je suis très content que le regard sur lui ait changé ; il a transcendé les génération­s. A mes yeux, il est l’incarnatio­n de la littératur­e plaisir, mais beaucoup plus profonde que ce qu’on pouvait croire à ses débuts.

« Longtemps, je n’ai lu que des bandes dessinées, et jamais mes parents ne m’ont dit : “c’est bien” ou “c’est mal” »

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