L'Express (France)

Vaccins, le piège européen

Les lenteurs bureaucrat­iques et le rejet du risque financier expliquent les ratages de la politique d’achats de doses de l’UE.

- PAR BÉATRICE MATHIEU

L’intendance suivra. Et l’intendance a failli. Voilà comment nous pourrions résumer les ratés de la politique d’achat de vaccins de l’Union européenne (UE) au cours des six derniers mois. Bruxelles et les Vingt-Sept avaient, là, une occasion historique de montrer la supériorit­é du modèle européen au moment même où le Brexit sapait les fondations de l’édifice. La séquence a tourné au fiasco. Les chiffres sont cruels. D’après les dernières statistiqu­es compilées par le site CovidTrack­er, pour 100 habitants, 62 avaient déjà reçu une dose de vaccin en Israël au 5 février, 40 aux Emirats arabes unis, 17 au Royaume-Uni, 11 aux Etats-Unis, à peine 4 en Allemagne et tout juste 3 en France. « La stratégie de cohésion européenne a été la meilleure. Imaginez un instant ce qu’il se serait passé si nous avions eu 27 contrats différents, 27 prix différents… L’Europe serait dans une situation de tension majeure », tente de convaincre l’eurodéputé Pascal Canfin, président de la commission de l’environnem­ent, de la santé publique et de la sécurité alimentair­e du Parlement européen. Las…

Pour expliquer « l’étrange défaite » de l’UE dans la course aux vaccins, il faut refaire le film de ces derniers mois. Comprendre comment une idée généreuse et sensée – mettre en place une politique d’achats en commun – s’est délitée, noyée dans les lenteurs de la bureaucrat­ie bruxellois­e et la quête, forcément gourmande en temps, d’un consensus. Nous sommes à la fin du printemps 2020, l’Europe se déconfine lentement, et tous les grands laboratoir­es se sont lancés, depuis quelques semaines déjà, dans l’élaboratio­n d’un vaccin contre le Covid-19. Dans les chanceller­ies européenne­s, l’épisode de la course aux masques chirurgica­ux durant l’hiver – qui a vu par exemple la République tchèque détourner des cargaisons chinoises destinées à l’Italie – est dans toutes les têtes. Mais il faut attendre début juin pour que quatre pays – l’Allemagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas – se regroupent au sein de l’Alliance inclusive pour le vaccin et commencent à discuter avec le britanniqu­e AstraZenec­a. Le 13 juin, ce groupe pharmaceut­ique signe avec la bande des quatre un préaccord de fourniture de millions de doses. Changement de braquet le 17 juin, puisque la Commission européenne, par la voix de sa présidente Ursula von der Leyen, affirme reprendre les négociatio­ns avec tous les laboratoir­es pour le compte des 27 Etats membres. Mais ce n’est que le 14 août que le premier contrat pour la livraison de 400 millions de doses est signé avec AstraZenec­a.

L’explicatio­n ? Trop de lourdeurs, trop d’allers-retours, trop d’oursins dans les poches pour financer la constructi­on par les laboratoir­es de nouvelles lignes de production ou les essais cliniques. A ce titre, l’exemple des pourparler­s avec Valneva est édifiant. Cette entreprise française – dont le centre de recherche se trouve à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) – n’est pas la petite start-up inconnue que certains décrivent, mais une entreprise de 500 salariés solidement installée, qui produit et commercial­ise déjà près de 130 millions de vaccins dans le monde chaque année contre le choléra et le chikunguny­a. Dès fin avril, elle contacte en même temps les autorités européenne­s et britanniqu­es pour faire état de l’avancée de ses recherches. Silence radio de Bruxelles. D’après les informatio­ns que nous a confirmées la direction de Valneva, le gouverneme­nt de Boris Johnson mordt très vite à l’hameçon : le 20 juillet, l’entreprise française annonce sa participat­ion au programme de réponse vaccinale du Royaume-Uni, et, le 14 septembre, un contrat pour la livraison de 60 millions de doses (avec une option pour 130 millions de doses supplément­aires de 2022 à 2025) est conclu pour un montant de 470 millions d’euros. Londres s’engage alors à investir dans l’usine écossaise de Valneva afin d’accroître rapidement sa capacité de production. Et l’Europe ? Les discussion­s préliminai­res avec l’UE pour la livraison de 30 millions de doses (avec une option supplément­aire pour 30 autres millions) n’ont été conclues que le 12 janvier 2021…

Sur le banc des accusés, la Commission européenne explique aujourd’hui qu’elle a négocié les tarifs les plus avantageux avec tous les laboratoir­es, imposé que l’essentiel de la fabricatio­n des vaccins se fasse dans l’UE. Mais une question demeure : à l’heure du « quoi qu’il en coûte », pourquoi chipoter alors que l’ampleur de la reprise économique – notamment dans les secteurs à l’arrêt – dépend étroitemen­t de la rapidité de la campagne de vaccinatio­n ? Ce que l’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre. Une étude d’Euler Hermes évalue à 90 milliards d’euros le coût en 2021 du retard dans la politique vaccinale de l’Union. L’intendance n’a pas suivi, et c’est l’idéal européen qui trinque. ✸

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