Eric Zemmour, la tentation présidentielle
L’éditorialiste candidat à l’Elysée en 2022 : pendant trois mois, L’Express a enquêté sur ses visées politiques. Ce qui n’était qu’un fantasme il y a quelque temps devient une réalité. Récit.
Chapitre 1 La pétition
Mercredi 20 janvier, sur le plateau de Paris Première. Eric Zemmour minaude, bras croisés et sourire aux lèvres. Il écoute un autre indéboulonnable du PAF, Alain Duhamel, expliquer pourquoi l’éditorialiste serait à ranger dans la catégorie des « présidentiables ».
Duhamel : « Eric Zemmour est à la fois un journaliste et un homme politique. Et comme homme public, il y a des gens qui souhaitent le voir à la présidentielle. Il va peut-être nous dire s’il le souhaite ou pas. »
Zemmour : « C’est pas ici et aujourd’hui que je vais le dire. »
Anaïs Bouton, la présentatrice : « Vous ne dites pas non ? »
Zemmour : « Ce n’est pas une réponse que je vais donner dès maintenant. »
La veille, sur le plateau de Face à l’info, sur CNews, le polémiste avait déjà joué au candidat, égrenant ses propositions pour doper la natalité française, une de ses marottes : préférence nationale pour les allocations familiales, suppression du droit du sol, aides ciblées sur les deuxième et troisième enfants – « pour ne plus financer les énormes familles de sept ou huit enfants, qui sont parfois polygames »… Depuis quelque temps, même ses amis se demandent à quoi joue l’essayiste de 62 ans, devenu polémiste et idéologue, qui réunit chaque soir près de 800 000 téléspectateurs. Cherche-t-il simplement à susciter le désir, ou envisage-t-il sérieusement de se jeter dans l’arène politique ?
Certains proches ont noté un changement, ces derniers mois, à mesure qu’approche l’élection présidentielle de 2022. Comme si la perspective de l’échéance reine de la vie politique française réveillait chez lui l’envie de mesurer sa légitimité dans les urnes, et plus seulement dans les courbes des audiences télé et des ventes de livres. La plaisanterie, murmurée depuis des années, pourrait devenir soudain une réalité. La preuve, chaque fois qu’il croise un ami ou une connaissance, Eric Zemmour pose désormais la question franchement : « A ma place, que ferais-tu pour la présidentielle? » Quand les réponses manquent d’enthousiasme, il bougonne. Il n’a pas apprécié, récemment, que chez son éditeur historique, Albin Michel, on lui fasse comprendre que se lancer en politique représenterait une aventure risquée. Il y a quelques mois, Zemmour lâche mystérieusement à un influent militant de la droite extrême : « J’ai un projet, je vous en parlerai. » Xavier Bertrand, lui, a été frappé de découvrir lors d’un déjeuner en terrasse que l’éditorialiste prenait plaisir à être reconnu et salué par les passants. « Un truc s’est produit chez ce type si intelligent », constate le président de la région Hauts-de-France, qui en est désormais persuadé : « Zemmour a une idée derrière la tête. » Sinon, pourquoi se soucierait-il tant du regard des autres ?
A l’automne 2020, les questions du polémiste se sont faites plus précises. « On s’organiserait comment pour récolter les signatures d’élus ? Pour le
financement ? » demande-t-il au maire de Béziers, Robert Ménard, autour d’un café dans une brasserie parisienne du XVIIe arrondissement. L’ancien secrétaire général de Reporters sans frontières sort de là avec le sourire jusqu’aux oreilles : ce partisan de l’union des droites, critique infatigable de Marine Le Pen, fait partie de ceux qui poussent activement Zemmour à se lancer en politique. Les deux hommes ont décidé d’échanger au moins une fois par mois. « Je ne l’ai jamais senti aussi près de franchir le pas qu’aujourd’hui », se félicite Ménard. En coulisses, l’élu biterrois tente de fédérer des soutiens parmi ceux qui veulent à tout prix éviter un match retour entre la présidente du Rassemblement national et Emmanuel Macron en 2022.
Le 8 septembre 2020, Ménard organise à Paris un déjeuner confidentiel dans une brasserie provençale, non loin du Trocadéro. Autour d’Eric Zemmour, le maire de Béziers a invité Jacques Bompard, indéboulonnable édile d’Orange, et son directeur de la communication, JosephMarie Joly. « L’objectif premier du déjeuner était de le convaincre d’y aller », raconte ce dernier. Surprise : les convives n’ont pas besoin d’attendre le dessert pour constater que leur entreprise est plutôt bien reçue. « Il ne faut pas grand-chose pour arriver à décider Eric », se persuade Jacques Bompard avec enthousiasme. Depuis, le président de la Ligue du Sud oeuvre à la création de comités de soutien, et met les ressources de son microparti d’extrême droite au service de cette candidature (in)espérée. Eric Zemmour laisse faire. Joseph-Marie Joly, de son côté, élabore une stratégie numérique. Cet ex-responsable local du Bloc identitaire (un groupe d’activistes d’extrême droite qui organisait notamment des apéros « saucisson-pinard » pour dénoncer l’islamisation) travaille, selon nos informations, à l’élaboration d’une pétition populaire en ligne « jesignepourzemmour.fr », qui devrait être lancée en mars. A la manière de Jean-Luc Mélenchon, qui proposait de se lancer dans la course présidentielle « à condition d’avoir recueilli 150 000 signatures », l’idée serait d’engranger suffisamment de soutiens pour amorcer une dynamique et légitimer la candidature du polémiste. « On essaie de réunir les conditions nécessaires pour que, si un jour il décide d’y aller, tout soit prêt », précise Joly.
Contacté par L’Express, Eric Zemmour n’a pas souhaité répondre à nos questions : « Je refuse toute rencontre avec des journalistes, car les demandes sont nombreuses et j’ai beaucoup de travail. » En privé, il confie parfois à ses interlocuteurs attendre que passent les régionales de juin pour prendre une décision. Il guette aussi les réactions de ceux qui ne croient pas en Marine Le Pen : Marion Maréchal et Philippe de Villiers le soutiendront-ils publiquement ? Peut-il compter sur Michel Onfray, avec qui il échange régulièrement amabilités, interviews et points de vue ? Il y a quelques semaines encore, le créateur de l’université populaire de Caen déclarait sur une chaîne de télévision que si le polémiste gênait, c’est qu’il était « trop brillant, trop intelligent, trop efficace, trop pertinent » et qu’il « met[tait] le doigt sur des problèmes ». Mais, pour le moment, seul le romancier Renaud Camus a officialisé son soutien. Il faut dire qu’Eric Zemmour fait beaucoup pour populariser sa thèse du grand remplacement, théorie complotiste selon laquelle l’élite organiserait le remplacement de la population blanche européenne par une immigration noire et arabe venue d’Afrique.
Chapitre 2 « Ce n’est pas le moment »
Il semble loin, le temps où Eric Zemmour renonçait à entrer dans l’arène politique, à l’approche des élections européennes de 2019. A l’époque, il n’avait cédé ni aux suppliques de l’ancienne éminence grise de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, ni à celles du souverainiste Paul-Marie Coûteaux, qui s’était pourtant fendu d’une longue lettre pour convaincre son vieil ami de se lancer ; pareille occasion ne se présente pas tous les
jours, l’a-t-il prévenu. Un émissaire de Marine Le Pen lui a proposé de conduire la liste du Rassemblement national ; Zemmour a hésité. Mais l’offre ne s’est finalement pas concrétisée, la responsable politique lui proposant une simple place éligible. Un affront, pour cet admirateur de Napoléon, qui ne s’imagine qu’en tête d’affiche. D’un même mouvement d’humeur, il a aussi balayé l’offre de Nicolas DupontAignan. Et s’il y allait plutôt en solo ?
Eric Zemmour gamberge. Son dernier livre, Destin français (Albin Michel), a moins bien marché que son best-seller, Le Suicide français. A peine plus de 110 000 exemplaires écoulés, selon les estimations GFK, quand il culminait, quatre ans plus tôt, à 470 000 ventes. Surtout, le sexagénaire commence à se dire qu’il ne pourra pas écrire indéfiniment Le Suicide français, épisode 2, Destin français, épisode 3… Comment se renouveler ?
En 2019, une poignée de financiers l’invitent à déjeuner dans un salon privé du Travellers Club, le dernier hôtel particulier des Champs-Elysées, orné de boiseries et de marbre rouge de Carrare. Dans ce cercle réservé aux hommes, où quelques privilégiés recrutés par cooptation fument le cigare et parlent affaires en costume-cravate, ces banquiers tentent une OPA d’un genre nouveau : pousser Eric Zemmour à se lancer aux européennes sur une liste autonome. Patrick Buisson fait simultanément courir le bruit de l’existence de sondages, commandés par ses soins, « qui ne sont pas déshonorants pour Eric », sans jamais montrer lesdites enquêtes. « Il l’encourageait, lui disait qu’il était le meilleur et le plus beau. C’était malsain et manipulateur », confiera à L’Express le grand ami d’Eric Zemmour Philippe Martel, décédé en novembre 2020. Ce proche parmi les proches lui déconseille de se jeter dans l’arène. Zemmour renonce. Patrick Buisson ne lui pardonne pas cette lâcheté : l’auteur de La Cause du peuple en a assez de se chercher un nouveau cheval. Désormais, depuis sa maison des Sablesd’Olonne, en Vendée, il répète à qui veut l’entendre que rien ne peut pousser à l’ombre de Marine Le Pen. La partie se jouera sans lui.
Chapitre 3 Le tremplin CNews
Depuis, le paysage a évolué. L’indésirable, remercié, en 2011, de l’émission On n’est pas couché, sur France 2, puis d’iTélé en 2014 et de RTL en 2019 (chaque fois après une sortie polémique lui valant des poursuites judiciaires), a désormais trouvé une scène à sa mesure. Un endroit où on ne lui rappelle ni sa condamnation pour provocation à la discrimination raciale, en 2011, ni celles pour provocation à la haine envers les musulmans, en 2018 (définitive) et en 2020 (en première instance). Depuis octobre 2019, tous les soirs, pendant une heure, Eric Zemmour règne en maître sur le plateau de Face à l’info, sur CNews. Il y occupe la grande majorité du temps, reléguant les chroniqueurs au rang de faire-valoir ; il ne se prive d’ailleurs pas de leur couper la parole ou de souligner l’absurdité de leurs arguments. Le 14 janvier, personne ne cille lorsqu’il déclare, après un débat sur le positionnement sexuel des adolescents :
Ce grand admirateur de Napoléon ne s’imagine qu’en tête d’affiche
« Je n’ai rien contre les homosexuels ; en revanche, je lutte politiquement contre les gays. » Ni quand, le 27 janvier, il défend le renvoi dans leur pays d’origine des immigrés : « Vouloir la remigration, ce n’est pas être raciste. » La recette fonctionne : en un an et demi, la tranche de début de soirée de CNews, qui enregistrait auparavant à peine plus de 80 000 téléspectateurs, rassemble souvent jusqu’à 900 000 personnes entre 19 et 20 heures… Soit une multiplication par 10 de l’Audimat : du jamais-vu en si peu de temps dans l’histoire des chaînes d’information. D’autant que le polémiste jouit d’une liberté totale, comme celle de faire abstraction des grands thèmes d’actualité pour laisser libre cours à ses obsessions : les conséquences dramatiques du féminisme, l’affaiblissement de l’homme blanc européen, le déclassement de la France, l’immigration… Mais aussi Napoléon, l’héritage du général de Gaulle, le démantèlement des joyaux industriels français, la puissance économique de la Chine, ou la défense de Donald Trump.
Dans les couloirs de la chaîne, journalistes et assistants contemplent, impuissants, un spectacle écrit d’avance. Ne leur avait-on pas promis, lors de l’arrivée d’Eric Zemmour, qu’un contradicteur assurerait chaque soir le débat ? Le Covid a eu la peau des invités. Les débatteurs, eux, ont disparu, exception faite du vendredi soir. Ne leur avait-on pas également assuré qu’un léger différé permettrait à la direction d’exercer un contrôle a priori sur les propos tenus à l’antenne ? Les retards successifs (et volontaires, selon certaines sources internes) de l’intéressé ont rendu caduc cet accord. Ils ont empêché, par exemple, la coupure, mardi 29 septembre, d’une violente saillie sur les migrants mineurs isolés – « Il faut que ces jeunes, tous, je vous le répète, tous, parce qu’ils n’ont rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer, il ne faut même pas qu’ils viennent. » Au sein de CNews, un historique du groupe a pourtant prévenu le directeur général de la chaîne, Serge Nedjar : « C’est dangereux, Eric Zemmour a un projet politique. » « Non, tu te trompes… » lui rétorque l’homme de confiance de Vincent Bolloré.
Une partie de la rédaction n’a plus envie de rire quand elle entend Christine Kelly rouspéter timidement. Le 19 janvier, après qu’Eric Zemmour a passé un quart d’heure à théoriser sur la submersion migratoire, elle lui glisse d’un ton doucereux : « Si vous nous permettez… Pour le terme de “grand remplacement”… Comme pour nous, c’est connoté, on vous laisse ce terme… » La journaliste, ex-sage du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), visage officiel de Face à l’info, a choisi de ne pas hausser le ton pour tenter de déminer ce plateau explosif. En vain. En réponse aux critiques qui dénoncent une triple caution – une femme, guadeloupéenne, ancien membre du CSA –, elle assume de se positionner en retrait. « Les garçons, un peu de calme… » supplie parfois la présentatrice, sans parvenir à couvrir les rires gras des trois hommes. L’animateur Arnaud Ardoin, qui avait eu le tort de demander des garanties et un délai de réflexion, a immédiatement disparu des radars. Sur la chaîne contrôlée par Bolloré, mieux vaut marcher droit. « Qui a encore parlé à la presse ? » s’agace régulièrement Serge Nedjar en réunion.
Le succès protège, surtout quand il irradie sur un groupe entier. La société des journalistes a beau marteler à coups de communiqués « qu’il ne faut pas faire d’amalgames entre CNews et Zemmour », rappeler que l’émission « représente cinq heures d’inédits par semaine sur cent vingt heures de direct » (en passant sous silence
les nombreuses rediffusions), la locomotive zemmourienne bénéficie à toute la chaîne, tirant vers le haut les scores des émissions de Pascal Praud et de Laurence Ferrari. En moins de deux ans, CNews est devenue la deuxième chaîne d’information du pays, dépassant LCI et marchant régulièrement sur les talons de BFMTV. La recette est simplissime : du débat, une production réduite au minimum, peu d’informations mais beaucoup d’opinions, et une prime à la radicalité. Zemmour donne le la d’une antenne toujours plus à droite, où défile tout ce que le PAF compte de chroniqueurs ultraconservateurs : Gabrielle Cluzel (Boulevard Voltaire), Charlotte d’Ornellas (Valeurs actuelles), Eugénie Bastié (Le Figaro), ou encore l’ex-RN Jean Messiha, payé pour venir trois fois par semaine malgré des outrances à répétition.
Zemmour ne met jamais les pieds à la rédaction : il passe directement du parking, où le dépose une moto-taxi, au maquillage, quelques minutes avant l’antenne. Son émission, il la prépare loin de BoulogneBillancourt, dans son appartement du XVIIe arrondissement parisien, ou dans son bureau du Figaro, boulevard Haussmann. Seul un jeune homme – Amaury Bucco, simple pigiste à CNews et journaliste à plein temps pour Valeurs actuelles, l’hebdomadaire de la droite dure – l’aide à préparer ses fiches et à écrire les questions qui seront lues par Christine Kelly. Une fois l’émission diffusée, l’assistant se charge d’isoler les meilleurs extraits et de les poster sur le compte Twitter (non officiel, mais c’est tout comme) d’Eric Zemmour, qui rassemble plus de 100 000 abonnés. Le sexagénaire n’a jamais sauté le pas des réseaux sociaux, mais il garde un oeil attentif et intéressé sur ces relais dont il n’ignore ni la puissance ni l’absolue nécessité dans une bataille électorale.
Dans sa conquête de fidèles, Valeurs actuelles est un allié de choix. Chaque Une qui lui est consacrée – « Zemmour, homme de l’année », « Zemmour président », « Qui est (vraiment) Eric Zemmour » – assure au magazine des ventes records. Pour pousser au paroxysme la « synergie » entre l’éditorialiste de CNews et l’hebdomadaire, chacune de ses interventions ou presque donne lieu à un petit article sur le Web. Un « pastillage » qui fait un carton d’audience sur le site de « VA ». A tel point que le directeur de la rédaction, Geoffroy Lejeune, lui lance un jour en plaisantant : « Envoienous des photos de ce que tu manges, ça fera le buzz ! » En attendant, Valeurs actuelles publie sur Internet jusqu’à quatre billets par semaine au sujet du polémiste. Un des derniers ? « Pourquoi Zemmour gagne (presque) tous ses débats ».
Chapitre 4 Marine Le Pen et la « miss France » Zemmour
Au Rassemblement national, on observe le phénomène Zemmour avec un mélange d’envie et de méfiance. D’un côté, l’éditorialiste du Figaro cultive des liens étroits avec certains élus lepénistes. Le soir de la victoire de Louis Aliot aux municipales à Perpignan, en juin 2020, il fait partie de ceux qui félicitent au téléphone le nouveau maire d’extrême droite d’un « bravo pour ce que tu as fait ». Les deux hommes se connaissent et s’apprécient depuis trente ans. « On partage beaucoup, nous sommes deux fils de pieds noirs, on discute de l’Algérie », nous confie l’édile. En septembre 2019, le polémiste était déjà venu soutenir son « ami Louis » pendant sa
Sur CNews, il donne le la d’une antenne toujours plus à droite, où défilent les ultraconservateurs
campagne lors d’un show géant au palais des congrès de Perpignan réunissant 800 personnes, suivi d’un dîner autour de deux parlementaires RN, les députés européens Jean-Paul Garraud et Jérôme Rivière. Le seul sujet qu’ils évitent s’appelle Marine Le Pen. Louis Aliot connaît les réserves de son ami sur les capacités de son ex-compagne. Il préfère ne pas les entendre.
Avec les élus lepénistes, Eric Zemmour pratique la politique du SMS, surtout quand ils traversent une période difficile. Au coeur de l’été, lorsque Nicolas Bay est exclu de la commission d’investiture du parti (Marine Le Pen le juge trop critique), l’éditorialiste se fend d’un petit message de soutien. Idem lorsque le sénateur Stéphane Ravier perd la mairie du 7e secteur de Marseille, en juin 2020. « Bonjour l’ami, j’imagine votre déception et votre fureur. Sachez qu’un correspondant m’assure qu’il y a eu des fraudes. Amitiés, on s’appelle quand vous voulez », lui envoie Eric Zemmour, en souvenir d’un déjeuner partagé dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés.
Marine Le Pen, elle, s’agace. La présidente du Rassemblement national n’ignore rien : ni l’engouement de sa base pour le parler cash du polémiste ni ses critiques contre elle. Elle n’a pas oublié qu’après sa défaite de 2017, Eric Zemmour s’est répandu sur les plateaux de télévision : « Marine Le Pen est de gauche, tous ses réflexes sont de gauche, elle est beaucoup plus de gauche que beaucoup de gens au PS. » La députée du Pas-de-Calais ne supporte pas plus de l’entendre encenser sa nièce pour mieux souligner ses propres lacunes. « Marion Maréchal incarne une ligne plus à droite, plus efficace, plus utile », disait-il au lendemain de la présidentielle.
Au fond, elle lui reproche d’être aimé de ceux qui la méprisent. A commencer par Robert Ménard, le maire de Béziers, et toute la clique de la droite autobaptisée « hors les murs ». Un agglomérat de dandys de la politique qui rêvent d’une personnalité capable de rassembler droite et extrême droite, et d’incarner, pensent-ils, une opposition plus crédible à Emmanuel Macron. Ils n’ont qu’à y aller, peste la candidate à la présidentielle, tous ces gens convaincus qu’ils feraient mieux qu’elle. En privé, au sujet d’Eric Zemmour, elle lâche avec ironie : « Il y a vouloir et il y a pouvoir. Quand j’étais jeune, je voulais être miss France. » Forte de bons sondages, qui lui promettent un second tour serré face à Emmanuel Macron (elle recueillerait 48 % des voix, le chef de l’Etat, 52 %, selon une enquête confidentielle de Harris Interactive révélée par L’Express), Marine Le Pen espère étouffer les ambitions parallèles en occupant tout l’espace à droite des Républicains. « Il est temps de se rassembler autour de ma candidature. Les espérances de candidatures diverses et variées doivent être abandonnées, il faut qu’on travaille tous ensemble à partir de maintenant », a déclaré la cheffe de file du RN lors d’une conférence de presse, le 29 janvier, à Nanterre.
Dans le reste de la famille, on apprécie pourtant le polémiste. Jean-Marie Le Pen fait partie des fidèles téléspectateurs de CNews. « C’est un homme courageux et cultivé que je regarde souvent », confie le patriarche à L’Express. Eric Zemmour s’affiche volontiers avec Marion Maréchal, même si leurs rapports restent ambigus. Les deux agitateurs partagent la même lutte, mais divergent sur la stratégie à adopter. Lui pense qu’il faut séduire le peuple, elle, unir les droites. Et si les deux personnalités s’estiment et se respectent, n’allez pas non plus croire au fol amour. « Marion » a détesté l’intervention d’« Eric » à la « convention des droites », organisée par ses amis. En septembre 2019, il avait ouvert cette journée de rencontres par un discours d’une rare violence contre « l’invasion, la colonisation et l’occupation » du pays par les immigrés. « C’était trop sombre », a immédiatement jugé en off Marion Maréchal, sans savoir que ces propos vaudraient à son invité vedette d’être condamné, un an plus tard, en première instance, à 10 000 euros d’amende pour injure et provocation à la haine. Quant à Eric Zemmour, il trouve la directrice de l’Issep (son école privée de sciences politiques) intelligente et courageuse. Mais quand même, de là à l’imaginer présidente de la République… Quoi de plus banal pour un homme qui a l’habitude de dire en privé qu’il n’a « jamais rencontré de femme plus intelligente que [lui] » ? Eric Zemmour en est convaincu : « Il y a un rapport anthropologique entre le pouvoir et la virilité. » « Quand une femme est au pouvoir, il y a un hiatus […] et les peuples ont du mal », expliquait-il au micro de Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, un matin de 2016. « Le pouvoir doit rester dans les mains des hommes, sinon, il s’évapore », professe celui qui a fait de la misogynie son étendard.
Marine Le Pen lui reproche d’être aimé de ceux qui la méprisent