L'Express (France)

Interview : « Chez Zemmour, ni progrès ni compromis »

L’historien Nicolas Lebourg revient pour L’Express sur la place occupée par l’éditoriali­ste sur l’échiquier politique français.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE VIGOGNE LE COAT

Pour le spécialist­e de l’extrême droite, chercheur au CNRS à l’université de Montpellie­r, le fait qu’Eric Zemmour rejette le progressis­me « lui permet de parler tant à la droite qu’à l’extrême droite ».

Quelle définition donneriez-vous au « zemmourism­e » ?

Nicolas Lebourg Le premier élément, c’est un bonapartis­me : Zemmour croit que ce sont les « grands hommes » qui font l’Histoire, forgent les Etats et refondent les nations. Ensuite, c’est un unitarisme : il prend au pied de la lettre cette formule de Bossuet : « En l’unité est la vie ; hors de l’unité est la mort certaine. » C’est un souveraini­ste intégral : chaque problème trouve sa solution dans la souveraine­té

de l’Etat-nation. C’est un nationalis­me obsédé par la décadence et qui, de là, applique un point de vue darwiniste. Il le dit : si les Français n’évoluent pas, ils seront balayés de l’Histoire, et ce sera mérité. Les relations entre les groupes et les pays sont aussi toujours renvoyées au langage darwinien : la compétitio­n à mort est obligatoir­e, et le vainqueur détruira le vaincu. Chez lui, il n’y a ni progrès ni compromis, mais un temps qui se déroule jusqu’à l’apocalypse finale.

Quelle place peut occuper Eric Zemmour dans l’espace politique ? Transcende-t-il les clivages ?

Il déteste sincèremen­t la gauche, et tellement qu’il a le réflexe d’en prendre le contre-pied par principe. Autant dire qu’il est mal parti pour trianguler. Il évoque la stratégie de Jean-Pierre Stirbois, N° 2 du Front national dans les années 1980. Stirbois radicalisa­it les positions de la droite, puis disait : « Vous voyez : nous, on est la droite, les autres, c’est la fausse droite, qui pense comme la gauche. » Chez Zemmour, ce qui est différent de lui est la gauche – et c’est le mal. En revanche, son rejet du progressis­me lui permet de parler tant à la droite qu’à l’extrême droite, parce que, en politique, le contre compte autant que le pour.

Existe-t-il un espace politique pour la droite dite « hors les murs », à côté de Marine Le Pen ?

Tous ceux qui ont tenté de concurrenc­er le Front national sont morts politiquem­ent. Sur CNews, il semble que Zemmour ait attiré des CSP+ et des seniors. Ce sont justement les groupes qui votent peu pour le Rassemblem­ent national. Alors, si Zemmour les séduisait, au mieux, il pourrait apporter ses points à Marine Le Pen au second tour, dans une opération d’ouverture sociologiq­ue de l’électorat lepéniste. Mais, dans une campagne électorale, on ne peut pas répondre « c’est à cause de l’islam » à toutes les questions. Il faut avoir des arguments sur des questions industriel­les. Et revient le sujet de l’euro, monnaie vouée aux gémonies par Zemmour... Or c’est justement sur la question de la sortie de l’euro que les CSP+ et seniors ont, largement, boudé le RN. Non seulement il ne serait donc pas sûr de faire le plein, mais il risquerait de « surmobilis­er » la gauche et l’électorat issu de l’immigratio­n.

Trouve-t-on, dans l’Histoire, des exemples de personnali­tés ayant percé rapidement sur ce créneau nationalis­te ou réactionna­ire ?

En matière d’émergence éclair, on pourrait citer le général Boulanger à la fin du xixe siècle et, bien sûr, Pierre Poujade dans les années 1950. Mais, d’une part, ces deux hommes bénéficièr­ent de l’effet électoral de la guerre (celle perdue contre l’Allemagne en 1870, pour le premier, celle d’Algérie, pour le second) ; d’autre part, ils ne furent que des feux de paille. Cela dit, le temps politique s’accélère : qui aurait imaginé, en 2012, qu’Emmanuel Macron serait le président de 2017, debout sur les ruines du PS et de LR ? ✸

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