La Ve République a-t-elle vécu ?
La crise sanitaire ne fait qu’apporter un argument supplémentaire à tous ceux qui veulent modifier les institutions. Dans la majorité, à gauche et même à droite.
Crime en Macronie : quoi, les partisans du président ne seraient pas les seuls et les meilleurs modernisateurs de la démocratie ? C’est François Bayrou qui le dit, et qui l’écrit même. Dans une interview au Figaro, puis par un courrier adressé au président de la République, le centriste met les pieds dans le plat, que ce soit sur la proportionnelle aux législatives ou sur le vote par correspondance, et fait rimer Marcheurs avec conservateurs. Voici les sujets institutionnels qui resurgissent alors que la pandémie n’a pas disparu et que se profile la campagne de 2022.
De l’instauration du quinquennat à la limitation drastique du cumul des mandats, il est frappant de constater que la classe politique procède souvent à des réformes qui la concernent et qu’elle est la première à regretter ensuite, comme si elle prenait un malin plaisir à se saboter ellemême. Jouer avec les institutions est toujours risqué. Pourtant, c’est comme s’ils s’étaient passé le mot : pour soigner la défiance croissante des Français à l’égard de leurs élus, tous rivalisent de remèdes à instaurer après 2022. Du PS fidèle à sa réputation, c’est-à-dire hostile à un régime mais seulement quand il se trouve dans l’opposition (« Nous sommes dans une Ve République à bout de souffle devenue, institutionnellement et par la pratique personnelle du pouvoir présidentiel, défavorable au débat démocratique comme fabrique de l’intérêt général », Boris Vallaud) à La France insoumise (« C’est le moment de tout remettre à plat. C’est à cela que sert de faire une Constitution : définir les règles de vie commune, dire qui décide et dans quelles formes », Jean-Luc Mélenchon).
Emmanuel Macron estime qu’il s’est montré inventif en matière de rénovation démocratique, par sa pratique d’un grand débat national et par l’organisation de la convention citoyenne pour le climat. Quel sort réservera-t-il avant la fin du quinquennat à l’une de ses promesses de 2017, la proportionnelle pour les élections législatives ?
Le président du groupe LREM à l’Assemblée s’inquiète de la faiblesse des contre-pouvoirs
Comme candidat, il voudra occuper le champ de la rénovation des institutions. Christophe Castaner a commencé à phosphorer de son côté, et prévient : « Le sujet est celui de la fin d’un cycle démocratique, bousculé notamment par l’Internet social et l’exigence d’immédiateté. » Le président du groupe LREM à l’Assemblée s’inquiète de la faiblesse des contre-pouvoirs et des tensions entre démocraties représentative et directe : « Certains ont moqué la décision de tirer au sort 35 citoyens pour se prononcer sur la stratégie vaccinale. Ils font erreur. Si on avait mis 35 députés, on n’aurait pas été jugés crédibles pour parler au nom du peuple. C’est cette interrogation-là qui me préoccupe. » Déjà, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avance ses idées : un référendum pour mettre fin à la dyarchie de l’exécutif, diminuer le nombre de parlementaires, faire du Conseil constitutionnel une cour de juristes où les anciens politiques n’auraient pas leur place, introduire un spoil system (renouvellement de l’administration après chaque présidentielle)…
C’est l’une des victimes les plus inattendues de la crise sanitaire, en tout cas aux yeux d’une partie grandissante de la droite : la Ve. Les élus LR n’en sont pas à commettre le crime de lèse-majesté qui consisterait à vouloir changer le numéro de la République, mais ils en conviennent désormais : le deus ex machina élu au suffrage universel direct ne saurait combattre, seul, un virus. « On n’a plus les scrogneugneux du gaullisme. Même la proportionnelle, une partie de LR l’aurait votée », s’amuse le président du groupe Union centriste au Sénat, Hervé Marseille. Il faut entendre ceux qui se feront remarquer dans la campagne, qu’ils soient ou non candidats à une hypothétique
primaire. « Absolutisme inefficace » de nos institutions, dit Philippe Juvin en citant Jean-François Revel. Le professeur de médecine et maire de La GarenneColombes (Hauts-de-Seine) prône une démocratie parlementaire avec un pouvoir davantage partagé plutôt qu’un régime présidentiel, avec une dose de proportionnelle. Le maire de Cannes, David Lisnard, souligne l’ampleur du défi : « Démontrer que la démocratie est efficace. » Il préconise une révolution de l’organisation administrative par le biais d’une consultation du peuple.
Le concours Lépine du référendum est ouvert : bientôt, il n’y aura pas assez de dimanches dans l’année pour tous les organiser. Il faut dire qu’il est aussi facile d’en proposer comme candidat qu’il est difficile de les organiser comme président. En 2017, François Fillon en voulait sur pas moins de cinq sujets. Un recours plus fréquent est prôné aussi bien par Bruno Retailleau que par Xavier Bertrand, qui s’est également prononcé pour un mandat présidentiel de six ans non renouvelable, une idée naguère avancée par François Mitterrand.
Président (du Sénat), pourquoi tu tousses ? Gérard Larcher s’inquiète parfois de voir ses compagnons de route céder à la facilité. Lui souligne plutôt le caractère « résilient » de la Ve République et, s’il s’offusque qu’Emmanuel Macron transforme le conseil de défense en conseil sanitaire décisionnel, il n’en tire pas de conclusions sur un quelconque dysfonctionnement institutionnel.
A gauche, le PS prévoit une conférence sur les institutions avant l’été. « J’avais entendu l’expression de chambre d’enregistrement avant d’être élu, mais je n’avais ni mesuré ni éprouvé la faiblesse du Parlement. Nous sommes un petit parlement dans une grande démocratie », témoigne Boris Vallaud, responsable du projet du parti, après ses quatre premières années de député. Il prône, à titre personnel, un « rééquilibrage des pouvoirs entre le président de la République et le Premier ministre », avec un système dans lequel ce dernier présiderait lui-même le Conseil des ministres et disposerait du droit de dissolution.
Contrairement au PS, La France insoumise (LFI) fait de la réforme des institutions la mère des batailles. « Si nous ne prenons pas cette tâche au sérieux, comment va-t-on pouvoir décider ensuite de toutes ces choses importantes et urgentes que nous voulons faire ? », écrit Jean-Luc Mélenchon dans le premier de ses quatre Cahiers de l’avenir en commun (Seuil), paru en janvier. Tout est déjà prévu : une Assemblée constituante convoquée en 2022, l’instauration de référendums d’initiative citoyenne et de référendums pour révoquer les élus, la création d’une règle verte pour « ne pas prélever davantage à la nature que ce qu’elle est en état de reconstituer »… S’ils remportent la présidentielle, les Insoumis risquent toutefois de buter sur un os. En effet, Jean-Luc Mélenchon entend utiliser l’article 11 de l’actuelle Constitution pour faire valider aux Français son idée de Constituante. Or, si le général de Gaulle est passé par cette voie pour convoquer le référendum de 1962 sur l’élection au suffrage universel du président, la jurisprudence s’est étoffée en soixante ans. Et il est désormais admis que l’on ne peut lancer une réforme constitutionnelle que sur la base de l’article 89, c’està-dire après un vote conforme de l’Assemblée et du Sénat. « Ce serait une bataille de juristes. Mais je vois mal le Conseil constitutionnel s’opposer à la décision d’un président qui vient d’être élu », veut croire le député LFI Bastien Lachaud.
Arguties juridiques ou problème politique ? Emmanuel Macron en a lui-même fait les frais avec l’échec de sa réforme constitutionnelle en 2018. Ces institutions que chaque famille politique rêve de redessiner sont soigneusement verrouillées par le Sénat. « C’est un problème que 175 personnes puissent bloquer unilatéralement ce que l’Assemblée nationale, le président de la République et le peuple pourraient vouloir », pointe le professeur de droit public à l’université de Lille Jean-Philippe Derosier. Du haut de son plateau, Gérard Larcher en a déjà fait redescendre plus d’un sur terre. ✷
La France insoumise
fait de la réforme des
institutions la mère
des batailles