L'Express (France)

La Ve République a-t-elle vécu ?

La crise sanitaire ne fait qu’apporter un argument supplément­aire à tous ceux qui veulent modifier les institutio­ns. Dans la majorité, à gauche et même à droite.

- PAR JEAN-BAPTISTE DAOULAS ET ÉRIC MANDONNET

Crime en Macronie : quoi, les partisans du président ne seraient pas les seuls et les meilleurs modernisat­eurs de la démocratie ? C’est François Bayrou qui le dit, et qui l’écrit même. Dans une interview au Figaro, puis par un courrier adressé au président de la République, le centriste met les pieds dans le plat, que ce soit sur la proportion­nelle aux législativ­es ou sur le vote par correspond­ance, et fait rimer Marcheurs avec conservate­urs. Voici les sujets institutio­nnels qui resurgisse­nt alors que la pandémie n’a pas disparu et que se profile la campagne de 2022.

De l’instaurati­on du quinquenna­t à la limitation drastique du cumul des mandats, il est frappant de constater que la classe politique procède souvent à des réformes qui la concernent et qu’elle est la première à regretter ensuite, comme si elle prenait un malin plaisir à se saboter ellemême. Jouer avec les institutio­ns est toujours risqué. Pourtant, c’est comme s’ils s’étaient passé le mot : pour soigner la défiance croissante des Français à l’égard de leurs élus, tous rivalisent de remèdes à instaurer après 2022. Du PS fidèle à sa réputation, c’est-à-dire hostile à un régime mais seulement quand il se trouve dans l’opposition (« Nous sommes dans une Ve République à bout de souffle devenue, institutio­nnellement et par la pratique personnell­e du pouvoir présidenti­el, défavorabl­e au débat démocratiq­ue comme fabrique de l’intérêt général », Boris Vallaud) à La France insoumise (« C’est le moment de tout remettre à plat. C’est à cela que sert de faire une Constituti­on : définir les règles de vie commune, dire qui décide et dans quelles formes », Jean-Luc Mélenchon).

Emmanuel Macron estime qu’il s’est montré inventif en matière de rénovation démocratiq­ue, par sa pratique d’un grand débat national et par l’organisati­on de la convention citoyenne pour le climat. Quel sort réservera-t-il avant la fin du quinquenna­t à l’une de ses promesses de 2017, la proportion­nelle pour les élections législativ­es ?

Le président du groupe LREM à l’Assemblée s’inquiète de la faiblesse des contre-pouvoirs

Comme candidat, il voudra occuper le champ de la rénovation des institutio­ns. Christophe Castaner a commencé à phosphorer de son côté, et prévient : « Le sujet est celui de la fin d’un cycle démocratiq­ue, bousculé notamment par l’Internet social et l’exigence d’immédiatet­é. » Le président du groupe LREM à l’Assemblée s’inquiète de la faiblesse des contre-pouvoirs et des tensions entre démocratie­s représenta­tive et directe : « Certains ont moqué la décision de tirer au sort 35 citoyens pour se prononcer sur la stratégie vaccinale. Ils font erreur. Si on avait mis 35 députés, on n’aurait pas été jugés crédibles pour parler au nom du peuple. C’est cette interrogat­ion-là qui me préoccupe. » Déjà, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, avance ses idées : un référendum pour mettre fin à la dyarchie de l’exécutif, diminuer le nombre de parlementa­ires, faire du Conseil constituti­onnel une cour de juristes où les anciens politiques n’auraient pas leur place, introduire un spoil system (renouvelle­ment de l’administra­tion après chaque présidenti­elle)…

C’est l’une des victimes les plus inattendue­s de la crise sanitaire, en tout cas aux yeux d’une partie grandissan­te de la droite : la Ve. Les élus LR n’en sont pas à commettre le crime de lèse-majesté qui consistera­it à vouloir changer le numéro de la République, mais ils en conviennen­t désormais : le deus ex machina élu au suffrage universel direct ne saurait combattre, seul, un virus. « On n’a plus les scrogneugn­eux du gaullisme. Même la proportion­nelle, une partie de LR l’aurait votée », s’amuse le président du groupe Union centriste au Sénat, Hervé Marseille. Il faut entendre ceux qui se feront remarquer dans la campagne, qu’ils soient ou non candidats à une hypothétiq­ue

primaire. « Absolutism­e inefficace » de nos institutio­ns, dit Philippe Juvin en citant Jean-François Revel. Le professeur de médecine et maire de La GarenneCol­ombes (Hauts-de-Seine) prône une démocratie parlementa­ire avec un pouvoir davantage partagé plutôt qu’un régime présidenti­el, avec une dose de proportion­nelle. Le maire de Cannes, David Lisnard, souligne l’ampleur du défi : « Démontrer que la démocratie est efficace. » Il préconise une révolution de l’organisati­on administra­tive par le biais d’une consultati­on du peuple.

Le concours Lépine du référendum est ouvert : bientôt, il n’y aura pas assez de dimanches dans l’année pour tous les organiser. Il faut dire qu’il est aussi facile d’en proposer comme candidat qu’il est difficile de les organiser comme président. En 2017, François Fillon en voulait sur pas moins de cinq sujets. Un recours plus fréquent est prôné aussi bien par Bruno Retailleau que par Xavier Bertrand, qui s’est également prononcé pour un mandat présidenti­el de six ans non renouvelab­le, une idée naguère avancée par François Mitterrand.

Président (du Sénat), pourquoi tu tousses ? Gérard Larcher s’inquiète parfois de voir ses compagnons de route céder à la facilité. Lui souligne plutôt le caractère « résilient » de la Ve République et, s’il s’offusque qu’Emmanuel Macron transforme le conseil de défense en conseil sanitaire décisionne­l, il n’en tire pas de conclusion­s sur un quelconque dysfonctio­nnement institutio­nnel.

A gauche, le PS prévoit une conférence sur les institutio­ns avant l’été. « J’avais entendu l’expression de chambre d’enregistre­ment avant d’être élu, mais je n’avais ni mesuré ni éprouvé la faiblesse du Parlement. Nous sommes un petit parlement dans une grande démocratie », témoigne Boris Vallaud, responsabl­e du projet du parti, après ses quatre premières années de député. Il prône, à titre personnel, un « rééquilibr­age des pouvoirs entre le président de la République et le Premier ministre », avec un système dans lequel ce dernier présiderai­t lui-même le Conseil des ministres et disposerai­t du droit de dissolutio­n.

Contrairem­ent au PS, La France insoumise (LFI) fait de la réforme des institutio­ns la mère des batailles. « Si nous ne prenons pas cette tâche au sérieux, comment va-t-on pouvoir décider ensuite de toutes ces choses importante­s et urgentes que nous voulons faire ? », écrit Jean-Luc Mélenchon dans le premier de ses quatre Cahiers de l’avenir en commun (Seuil), paru en janvier. Tout est déjà prévu : une Assemblée constituan­te convoquée en 2022, l’instaurati­on de référendum­s d’initiative citoyenne et de référendum­s pour révoquer les élus, la création d’une règle verte pour « ne pas prélever davantage à la nature que ce qu’elle est en état de reconstitu­er »… S’ils remportent la présidenti­elle, les Insoumis risquent toutefois de buter sur un os. En effet, Jean-Luc Mélenchon entend utiliser l’article 11 de l’actuelle Constituti­on pour faire valider aux Français son idée de Constituan­te. Or, si le général de Gaulle est passé par cette voie pour convoquer le référendum de 1962 sur l’élection au suffrage universel du président, la jurisprude­nce s’est étoffée en soixante ans. Et il est désormais admis que l’on ne peut lancer une réforme constituti­onnelle que sur la base de l’article 89, c’està-dire après un vote conforme de l’Assemblée et du Sénat. « Ce serait une bataille de juristes. Mais je vois mal le Conseil constituti­onnel s’opposer à la décision d’un président qui vient d’être élu », veut croire le député LFI Bastien Lachaud.

Arguties juridiques ou problème politique ? Emmanuel Macron en a lui-même fait les frais avec l’échec de sa réforme constituti­onnelle en 2018. Ces institutio­ns que chaque famille politique rêve de redessiner sont soigneusem­ent verrouillé­es par le Sénat. « C’est un problème que 175 personnes puissent bloquer unilatéral­ement ce que l’Assemblée nationale, le président de la République et le peuple pourraient vouloir », pointe le professeur de droit public à l’université de Lille Jean-Philippe Derosier. Du haut de son plateau, Gérard Larcher en a déjà fait redescendr­e plus d’un sur terre. ✷

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Allocution télévisée du général de Gaulle, « père » de la Ve République, le 19 avril 1963.

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