L'Express (France)

Couvre-feu : verbaliser à 18 h 01, vraiment ?

L’exécutif n’ignore rien des libertés que s’accordent parfois les Français. Il les traque plus sévèrement pour éviter le reconfinem­ent. Mais gare à l’acceptabil­ité.

- JEAN-BAPTISTE DAOULAS

Les vacanciers sont prévenus. « Il n’y a pas de tolérance particuliè­re » pour les embouteill­ages, a rappelé la porte-parole du ministère de l’Intérieur, le 7 février. En théorie, chacun peut être verbalisé dès 18 h 01 s’il est hors de son domicile sans attestatio­n. En pratique, l’exécutif et les préfets savent qu’une applicatio­n aussi rigoureuse du couvre-feu est mal vécue sur le terrain et pénible à faire respecter par les forces de l’ordre. Les contrôles du 31 janvier à la porte d’Orléans, à Paris, ont suscité des réactions indignées. « Il est important de ne pas donner le sentiment qu’on piège les gens pour les verbaliser », met en garde Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de la capitale. Nous voici au coeur de la zone grise, ce petit espace de liberté que s’accordent les Français. Dans une étude publiée le 9 novembre 2020, ils étaient 60 % à confesser à l’Ifop avoir transgress­é au moins une fois les règles du deuxième confinemen­t. Une réalité que le gouverneme­nt est obligé d’intégrer. « Le mot “magique”, quand vous parlez aux forces de l’ordre, c’est “discerneme­nt”, explique un préfet à L’Express. Appliquez les instructio­ns, mais faites attention. Il faut le faire sans excès de zèle et avec pédagogie. » Au confinemen­t du printemps 2020, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, était attentif à ménager la population sur ce point, conscient qu’une rencontre inopinée avec la police reste une expérience anxiogène, même quand on n’a rien à se reprocher.

Face à la flambée de l’épidémie et au pari d’Emmanuel Macron de ne pas reconfiner le pays, l’indulgence n’est plus de mise. « Matignon a donné la consigne de mettre le paquet sur les contrôles, dit-on dans l’entourage de Jean Castex. Cela accroît l’acceptabil­ité du couvre-feu de voir que ceux qui ne le respectent pas ne le font pas en toute impunité. » Consigne reçue 5 sur 5 par Gérald Darmanin, qui a annoncé dès le 31 janvier une augmentati­on de 30 % de ces opérations depuis la veille.

« Le respect des règles sanitaires est la condition sine qua non pour ne pas prendre des mesures plus drastiques », assume-t-on au ministère de l’Intérieur. Et le discerneme­nt, dans tout ça ? « Faire preuve de discerneme­nt ne veut pas dire qu’il n’y a pas de fermeté », répond-on place Beauvau. Fini le temps pas si ancien où, alors que le couvre-feu était à 20 heures, le préfet d’un départemen­t urbain confiait ne pas demander de verbalisat­ion avant 22 heures à ses troupes. « Cette notion de discerneme­nt avait une acception assez large. Maintenant, c’est le quart d’heure académique », traduit un préfet. En clair, on risque désormais la verbalisat­ion à 18h15. En « sociologue de proximité », comme il se définit, ce préfet a scruté sur les réseaux sociaux les réactions de la population au durcisseme­nt des contrôles dans son départemen­t rural. « Les gens ont majoritair­ement compris qu’il fallait un couvre-feu qui marche pour éviter le confinemen­t, et qu’un couvre-feu qui marche, c’est un couvre-feu respecté », dit-il.

La sévérité des contrôles dépend beaucoup de la progressio­n de l’épidémie et de l’état psychologi­que des Français. Parfois, le gouverneme­nt lui-même décide de fermer les yeux. Lorsque, à la fin du deuxième confinemen­t, l’exécutif autorise le 28 novembre les promenades quotidienn­es jusqu’à 20 kilomètres pendant trois heures, au lieu d’un seul kilomètre en une heure, c’est sans ignorer que des millions de citoyens détournero­nt la mesure pour aller voir leurs proches. « Dans ces conditions, on voyait bien que les contrôles n’étaient plus gérables pour les policiers, se souvient un conseiller de l’exécutif. On misait surtout sur la responsabi­lisation des Français. »

Même s’ils sont désormais prévenus que toute entorse au couvre-feu est susceptibl­e d’être verbalisée, les citoyens savent aussi qu’il est impossible de mettre un policier derrière chacun d’eux. Et que, statistiqu­ement, ils ne risquent donc pas grand-chose à mettre le nez dehors. « L’effet des mesures de couvre-feu repose sur l’acceptabil­ité. Le jour où les gens décident que c’est fini, c’est fini », rappelle Emmanuel Grégoire. La peur du gendarme a ses limites. ✷

« Faire preuve de discerneme­nt ne veut pas dire qu’il n’y a pas de fermeté »

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Les opérations de contrôle ont augmenté de 30 % depuis le 30 janvier.

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