L'Express (France)

Volontaris­me ou désespoir ?, par François Bazin

Face à la crise sanitaire, Emmanuel Macron écrit la règle, entre bravoure séculaire et impérieuse fanfaronna­de.

- François Bazin François Bazin, essayiste et journalist­e spécialist­e de la politique.

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, mais on sait désormais qu’Emmanuel Macron y plonge toujours de la même façon. Une fois dans l’eau, il est comme tout un chacun – c’est le courant qui souvent l’entraîne –, mais dans un premier temps, on ne retient que l’originalit­é de son saut. Le président a l’habitude de surprendre. Cet oxymore est d’une force qui, au moins à court terme, lui permet de manifester ce qu’il conserve de puissance. Jupiter lançait la foudre. Emmanuel Macron, lui, met en scène le saut de l’ange. Dans l’intention, cela ne change pas grand-chose. L’effet recherché reste celui de la sidération. « Sous vos applaudiss­ements », comme disait autrefois le bonimenteu­r à la télé, le dimanche à l’heure du goûter des enfants.

A ce stade s’impose un retour sur image pour ne rien perdre de ces figures qui signent une méthode. Confinemen­t, déconfinem­ent, reconfinem­ent, peu importe. Seul compte le tour de main, avec une distributi­on des rôles étrangemen­t similaire. « Macron veut encore serrer la vis » : le 12 avril dernier, en Une, Le JDD se veut catégoriqu­e. La guerre, hélas, n’est pas finie, et le président ne saurait abandonner son habit churchilli­en. Ce sera donc une nouvelle dose de sueur et de larmes. Le lendemain, pourtant, c’est l’inverse qu’annonce Emmanuel Macron face caméra. L’heure de la libération doit sonner au plus vite.

Stupeur à tous les étages. Médecins, experts de tout poil, ministres surtout, à commencer par le Premier, sont pris à contre-pied. Bon gré, mal gré, il faudra qu’ils s’adaptent. Le chef décide. Eux n’ont pas d’autre choix que de s’exécuter. Plus tard, on verra le coût de ce retour anticipé aux « beaux jours ».

La piste aux étoiles

Le temps a passé, et voilà qu’on recommence à l’identique. Encore une fois, c’est Le JDD qui engage la partie à sa Une : « Reconfinem­ent imminent. » Encore une fois, c’est Churchill qu’on convoque quand l’offensive d’un virus mutant paraît inéluctabl­e. Encore une fois, médecins, experts et ministres anticipent jusqu’à donner le sentiment d’être les vrais décideurs dans une partie jouée d’avance sur le mode sacrificie­l. Encore une fois, c’est un tout autre lapin qu’à l’Elysée on sort du chapeau et que, dans un ultime raffinemen­t, on charge l’homme de Matignon, résigné, d’aller présenter aux Français « stupéfaits et contents » (Machiavel, Le Prince, chapitre VII).

Et dire, après tout ça, que certains continuent à voir en Emmanuel Macron un saint-simonien convaincu ! A « l’administra­tion des choses », fût-ce en matière sanitaire, il préférera toujours

« le gouverneme­nt des hommes », sans croire un seul instant n’être qu’un vulgaire « parasite ». Avec lui, ce n’est pas uniquement « la politique d’abord », comme disait son cher Maurras.

Ce qui prime, quoi qu’il en coûte, c’est d’abord le politique, c’est-à-dire le président, celui qui décide, qui tranche et prend son risque quand bien même celui-ci semblerait en contradict­ion, à terme, avec la nécessaire protection des âmes dont il a la charge.

De l’angélus au tocsin

Il y a dans cet exercice d’un volontaris­me un tantinet narcissiqu­e quelque chose de très classique qui fascine et terrifie à la fois lorsqu’il est poussé, comme on le voit actuelleme­nt, à ce point d’incandesce­nce. Emmanuel Macron n’est pas le premier à croire que « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Lénine l’avait dit avant lui, Pierre Mauroy aimait à le répéter, et même Michel Barnier l’a écrit dans sa dernière carte de voeux – c’est tout dire. N’empêche que dans cet aménagemen­t assumé des contrainte­s sans laquelle il n’y a pas d’action possible, on a vite fait de passer avec Audiard, référence macronienn­e s’il en est, du « j’vais lui montrer qui c’est Raoul » au « terminus des prétentieu­x ».

Pour le dire autrement, de manière moins imagée, ce n’est pas tout à fait la même chose de forcer le destin pour parvenir à ses fins et de renverser la table faute de pouvoir y poursuivre la partie espérée. Dans un cas, c’est l’audace qui fait avancer, dans l’autre, c’est le désespoir qui conduit à sauter dans le vide.

Au-delà des figures de style qui plaisent tant à Emmanuel Macron et qu’il répète à l’envi avec le sentiment évident qu’elles sont la marque de son autorité et, partant, de son succès durable, reste, dans la situation présente, cet étrange pari où entre un brin de folie. Tordre le bras de Véran, de Castex ou bien de Delfraissy, c’est aisé, plaisant et peut-être même justifié. Tordre le bras au virus, c’est quand même différent, même quand on est Raoul. Qui a dit : « Un roi sans divertisse­ment est un homme plein de misère » ? N’est-ce pas le même qui a ajouté :

« Qui veut faire l’ange fait la bête » ? ✸

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