Birmanie Après le coup d’Etat, la Chine conserve plusieurs fers au feu
Pékin se refuse à condamner la prise du pouvoir par l’armée dans un pays stratégique pour lui. Mais les militaires risquent d’être moins accommodants qu’Aung San Suu Kyi.
Dans l’immense salon doré d’un palais de Nay Pyi Taw, l’étrange capitale de la Birmanie bâtie en pleine jungle, le ministre des Affaires étrangères chinois, Wang Yi, salue du coude le général Min Aung Hlaing. Prend-il conscience, en ce 12 janvier, que le chef de l’armée birmane, proche de la retraite, s’apprête à lancer un coup d’Etat trois semaines plus tard ? Et que la dirigeante de facto du pays, Aung San Suu Kyi, sera bientôt arrêtée ? Un indice aurait pu l’alerter : lors de la rencontre, le haut gradé peste contre une « fraude » supposée lors des élections législatives de novembre, largement remportées par la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti de la « dame de Rangoun ».
Depuis cette rencontre, le général birman s’est attribué tous les pouvoirs, et Pékin ne s’est pas joint aux protestations occidentales. Au nom de la « non-ingérence » dans les « affaires internes », la Chine a, au contraire, bloqué une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant le coup d’Etat, simplement qualifié « d’important remaniement ministériel » par la presse officielle chinoise.
Le pouvoir autoritaire chinois ne se réjouit cependant pas pour autant de la fin de cette parenthèse démocratique. « Tout en maintenant des liens avec les militaires, Pékin avait beaucoup investi dans sa relation avec Aung San Suu Kyi ces dernières années », explique Aaron Connelly, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies, à Singapour. De fait, en 2016, après sa prise de fonction, la « Lady » avait réservé son premier voyage à l’empire du Milieu. Le président chinois Xi Jinping, lui, a effectué une visite officielle en Birmanie en janvier 2020, sa dernière avant le début de la pandémie. Dans le cadre de l’ambitieux projet des nouvelles routes de la soie, le maître de Pékin a lancé un gigantesque « corridor économique », comprenant notamment un gazoduc et un oléoduc reliant le Yunnan (sud-ouest du pays) à un port en eaux profondes dans le Golfe du Bengale.
Au pouvoir, la Prix Nobel de la paix (et ex-icône de la démocratie) s’est beaucoup rapprochée du régime chinois, qui avait pourtant soutenu la junte militaire lorsqu’elle était privée de liberté, jusqu’en 2010.
La crise des Rohingya, en 2017, a marqué un tournant. Après avoir défendu l’armée birmane, accusée par l’ONU « d’intention génocidaire » à l’encontre de la minorité musulmane, Aung San Suu Kyi, très critiquée par l’Occident, s’est tournée vers son puissant voisin, qui ne trouvait rien à redire aux persécutions.
Les autorités chinoises pourraient paradoxalement avoir davantage de fil à retordre avec les nouveaux dirigeants : s’estimant les garants de la souveraineté nationale, ils s’inquiètent de la dépendance du pays vis-à-vis de la Chine, premier partenaire commercial et deuxième investisseur local. Leurs liens avec Pékin se sont distendus avec l’amorce d’un processus démocratique birman, en 2011 : à l’époque, les généraux avaient suspendu un gigantesque projet chinois de barrage et s’étaient ouverts à l’Occident, accueillant deux fois le président américain Barack Obama, en 2012 et 2014.
Les tensions n’ont pas disparu, au contraire. L’an dernier, la Tatmadaw (les forces armées birmanes) a même implicitement accusé Pékin d’armer des groupes ethniques rebelles du nord du pays. Dans ce contexte de méfiance, le nouvel homme fort de Nay Pyi Taw devrait tenter de diversifier ses relations diplomatiques. Contrairement aux Etats-Unis et à l’Europe, certaines puissances asiatiques pourraient répondre à l’appel. « Les intérêts stratégiques et économiques du Japon et de l’Inde devraient les conduire à résister aux Occidentaux, qui pourraient leur demander de couper les ponts avec la Birmanie ou d’appliquer des sanctions », juge Aaron Connelly.
De son côté, Pékin observe attentivement l’évolution de la situation et la montée du mouvement de protestation en Birmanie. « Le coup d’Etat est une mauvaise nouvelle pour la Chine. Sa stratégie régionale requiert de la stabilité politique et un environnement favorable aux investissements », commente Sun Yun, codirectrice du programme Asie de l’Est au Stimson Center, un cercle de réflexion basé à Washington. Mais comme elle l’a toujours fait depuis 1949, la Chine communiste s’adaptera sans états d’âme au nouveau pouvoir. Si les militaires parviennent à s’imposer durablement, Pékin s’efforcera de s’en rapprocher. Mais sans, non plus, se fermer de portes, dans l’hypothèse d’un retour d’Aung San Suu Kyi…W