L'Express (France)

Japon Des poèmes décapants pour exorciser le Covid

Des dizaines de milliers de salariés ont participé à un concours de « senryû », des compositio­ns en trois vers, pour ironiser sur la vie au temps de la pandémie.

- PHILIPPE MESMER (TOKYO)

Le Covid-19 n’a pas fait perdre leur sens de l’humour, parfois grinçant, aux Japonais. En témoigne le succès de la 34e édition du traditionn­el concours de senryû – des poèmes satiriques en trois vers de cinq, sept et cinq pieds, nés à l’ère d’Edo (1603-1868) – réservé aux salarymen nippons. Ces cols blancs ont envoyé plus de 62 500 compositio­ns. Les 100 meilleurs, tous sur le thème de la « nouvelle normalité », ont été présentés fin janvier.

Certains s’efforcent d’en voir les avantages, comme Sonoman : « Quand j’ai le masque, on me dit souvent que je suis beau. » Ou Kodakusan :

« Le maquillage des yeux est fini, le masque est un gain de temps. » Face aux restrictio­ns, on se plaint : « La première fois que je vois le visage de mon petit-fils, c’est par le smartphone. » Ou on se réjouit : « Le chef pendant la pandémie est à distance. »

Les restrictio­ns ont bouleversé la vie des épouses, souvent femmes au foyer. « Télétravai­l, un grand enfant de plus à la maison », ironise l’une d’elles, à propos de son conjoint, tandis que Hajichan déprime : « Rester à la maison, vision de mon mari à la retraite. » A l’inverse, Akino Aki se montre admirative : « Télétravai­l. J’ai découvert un autre papa. » Les difficulté­s de cette cohabitati­on forcée agacent aussi les hommes : « Même avec le masque, on ne peut pas bloquer les plaintes de l’épouse », regrette Waisan. Nakaji, lui, est tiraillé : « Au sujet de l’entreprise, le chef dit : “Ne vient pas !” L’épouse dit : “Vas-y”. » Bien vu.

Pour les travailleu­rs, de nouvelles tracasseri­es apparaisse­nt. « Le bouton d’envoi du brouillon, le chat le presse. » « Trouver un endroit pour boire à la maison », espère un nostalgiqu­e des virées dans les bars après le travail, alors que Rano déplore : « Vous dormez ? Pas de réponse, telle est la réunion en ligne. »Mais un autre concurrent se console : « Même pour un débat sérieux, bas de pyjama. » « Les difficulté­s du travail se dissipent. Sourire de l’enfant », ajoute un employé.

Déprimé ou non, le salaryman décline physiqueme­nt : « Aller une fois par semaine au travail. Essoufflem­ent. » « Se rendre au travail, c’était du sport ! Ah, mon ventre », se plaint Kaaragedai­suki en évoquant son embonpoint naissant. A défaut d’être un athlète, il est devenu poète… ✸

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