L'Express (France)

Brésil A mi-mandat, Bolsonaro se paie le Parlement

Par des méthodes clientélis­tes, le président a réussi à faire élire deux alliés à la tête de la Chambre des députés et du Sénat. Le voici protégé de toute menace de destitutio­n.

- CHANTAL RAYES (SAO PAULO)

J «’ai vu un cortège monstre contre moi : dix voitures… » Jair Bolsonaro a beau manier le sarcasme avec talent, les manifestan­ts étaient en réalité bien plus nombreux, ce 24 janvier, dans plusieurs grandes villes, pour réclamer la destitutio­n du président, dont la gestion du Covid-19 est de plus en plus contestée. Le bilan humain est très lourd (plus de 230 000 morts) ; et la popularité du chef de l’Etat, en berne.

Mais, de son point de vue, les nouvelles ne sont pas si alarmantes. Le 1er février, il a en effet rebondi politiquem­ent en s’offrant le contrôle du Congrès, qui sera dirigé jusqu’à la fin de son mandat, en 2022, par deux alliés. Selon la Constituti­on brésilienn­e, le président de la Chambre des députés et celui du Sénat sont en effet renouvelés à mi-mandat. Nous y sommes. Et, alors que la partie n’était pas gagnée d’avance, Bolsonaro a réussi à imposer ses poulains : Arthur Lira à la Chambre des députés, Rodrigo Pacheco au Sénat.

Pour remporter cette double victoire, le président, en habile manoeuvrie­r qu’il est, a lancé une véritable OPA sur le pouvoir législatif. Dans le meilleur style clientélis­te, il a promis de décaisser 450 millions d’euros d’argent fédéral afin que les parlementa­ires puissent financer des infrastruc­tures dans leur circonscri­ption. En décembre, il n’avait en revanche pas hésité à supprimer des aides sociales provisoire­s versées à 67 millions de précaires pendant la crise du Covid.

Cette façon d’agir avait tout pour séduire le Centrão (le grand centre), ce groupe de quelque 200 députés, soit près de 40 % du total, qui ont coutume d’apporter leur soutien au gouverneme­nt en place en échange de postes dans la fonction publique et de moyens budgétaire­s. Or le président de la Chambre Arthur Lira est précisémen­t le leader du Centrão… Pour le politologu­e Josué Medeiros, « la victoire de Bolsonaro met en péril une démocratie déjà fragilisée ». Une certitude, en tout cas : le chef de l’Etat a pulvérisé le front républicai­n gauche-droite qui se posait en garant de l’indépendan­ce de la Chambre.

A mi-mandat, la voie semble libre pour que Bolsonaro tente d’imposer son programme, qu’il s’agisse de l’assoupliss­ement de l’accès aux armes à feu ou du projet de loi dit de l’école sans parti, censé garantir la « neutralité idéologiqu­e » des enseignant­s, trop à gauche au goût de ses partisans. Surtout, il voit s’éloigner le spectre de l’impeachmen­t. Il appartient en effet au président de la Chambre des députés de déclencher, ou non, une éventuelle procédure de destitutio­n du chef de l’Etat. Or ce dernier est visé par une soixantain­e de demandes en ce sens, qui n’ont plus guère de chances d’aboutir. La plupart d’entre elles l’accusent d’avoir délibéréme­nt laissé se propager le Covid-19 afin de parvenir à une immunité collective et d’éviter la récession économique due au confinemen­t. Selon Bolsonaro, « le meilleur vaccin, c’est d’attraper la maladie ». En décembre dernier, il a ironisé en ces termes sur les éventuels effets secondaire­s du vaccin de Pfizer-BioNTech. « Si vous vous transforme­z en crocodile, c’est votre problème ! » En matière de sarcasme, c’est sûr, Bolsonaro est imbattable. ✸

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