L'Express (France)

Etats-Unis Le plan de Biden pour une Amérique écolo

Avec une série de décrets pro-environnem­ent, le président a contenté la jeunesse et la gauche du Parti démocrate. Mais syndicalis­tes et industriel­s sont loin d’être enchantés.

- PAR ALEXIS BUISSON (NEW YORK)

En une seule journée, la première de son mandat, Joe Biden a mis un terme à douze années de controvers­e, annulant d’un trait de plume, par décret présidenti­el (executive order), le projet d’expansion du pipeline Keystone XL. Celui-ci devait s’élancer de la province canadienne de l’Alberta (nord-ouest du continent), riche en sables bitumineux, pour traverser en diagonale les magnifique­s paysages du Dakota et du Montana puis aboutir au centre géographiq­ue des Etats-Unis, dans le Nebraska. Là, il se serait connecté à un système d’oléoducs déjà opérationn­el qui traverse le pays dans un axe nord-sud. Ce « serpent noir » de 1 500 kilomètres devait empiéter sur plusieurs territoire­s sacrés de tribus amérindien­nes.

« Nous sommes très déçus par cette décision de Biden », confie Mark McManus, le président de United Associatio­n, le syndicat des ouvriers du secteur parapétrol­ier (340 000 adhérents), dont le siège se trouve près de Washington. Avec l’annulation du pipeline, ce sont 11 000 emplois potentiels qui partent en fumée. « Je pensais qu’il prendrait davantage de temps pour examiner les choses », insiste cet électeur du candidat démocrate à propos de ce projet relancé par l’administra­tion de Donald Trump, mais bloqué par une forte mobilisati­on citoyenne.

Sa réaction est symptomati­que : la révolution verte de Joe Biden ne contentera pas tout le monde. Outre l’arrêt de Keystone XL, le nouveau président a réengagé les EtatsUnis dans l’accord de Paris sur le climat, imposé un moratoire sur les forages pétroliers pour les terres appartenan­t à l’Etat fédéral, suspendu les réglementa­tions anti-environnem­entales de Donald Trump (qui avait considérab­lement réduit la surface de certaines zones protégées). De plus, Biden affirme que le climat constituer­a un élément essentiel de sa politique étrangère et de sécurité nationale. A cet effet, il a nommé le très expériment­é John Kerry – qui fut ministre des Affaires étrangères – au poste d’« envoyé présidenti­el spécial pour le climat ». Autre mesure symbolique : la flotte des 645 000 véhicules gouverneme­ntaux passera au « tout électrique » dans les prochaines années.

Voilà encore un an, peu d’écologiste­s misaient sur la fibre verte de ce président né à Scranton, la capitale du charbon en Pennsylvan­ie. C’était compter sans la pression de l’aile gauche du Parti démocrate, en particulie­r du mouvement Sunrise. Depuis 2018, cet influent groupe de jeunes militants défend l’idée d’un « Green New Deal » : un ambitieux train de mesures pour engager la transition écologique et économique du pays, inspiré du New Deal de Franklin D. Roosevelt. Joe Biden a, conforméme­nt à leurs souhaits, nommé la députée amérindien­ne Deb Haaland, très au fait des sujets environnem­entaux et climatique, au ministère de l’Intérieur, dont dépend la gestion des ressources naturelles et des parcs nationaux. « Le Parti démocrate a glissé vers la gauche sous l’effet du militantis­me des jeunes, observe Max Friedman, doyen de l’American University à Washington. Aujourd’hui, Joe Biden sait qu’il doit se montrer plus progressis­te en matière d’écologie que Barack Obama. »

Dans le même temps, le locataire de la Maison-Blanche devra aussi rassurer son électorat centriste, tout comme le patronat ou les syndicats. Ceux-ci voient en effet d’un mauvais oeil les changement­s radicaux prônés par les écologiste­s. « C’est un

jeu d’équilibris­te », prévient Barry Rabe, professeur de politique environnem­entale à l’université du Michigan. D’autant que le plus dur est à venir. « Jusqu’à présent, toutes les décisions de Biden ont été prises par décrets, lesquels peuvent être remis en cause devant les tribunaux ou par un éventuel successeur républicai­n. Si le président veut inscrire ces avancées dans le marbre, il devra passer par la loi, c’est-à-dire par un vote du Congrès », précise ce spécialist­e.

Les investisse­ments massifs dans les énergies renouvelab­les seront un vrai test. Joe Biden veut les faire adopter rapidement par les parlementa­ires dans le cadre d’un plan de 2 000 milliards de dollars destiné à neutralise­r les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, et à « rebâtir [l’économie] en mieux ». Ce slogan de campagne (« Build Back Better ») pourrait toutefois buter sur le Sénat, où démocrates et républicai­ns détiennent 50 sièges chacun. « Il faut 60 voix pour faire passer le texte ; or, certains sénateurs républicai­ns d’Etats riches en énergies fossiles, tel le Wyoming, pourraient s’y opposer », reprend Barry Rabe. Le sénateur démocrate de VirginieOc­cidentale, Joe Manchin, vient d’ailleurs d’affirmer que Joe Biden avait eu tort de tuer le projet de pipeline Keystone XL… La transition verte ne sera pas un long fleuve tranquille. ✸

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Le chef d’Etat a notamment réengagé son pays dans l’accord de Paris sur le climat.

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