Etats-Unis Le plan de Biden pour une Amérique écolo
Avec une série de décrets pro-environnement, le président a contenté la jeunesse et la gauche du Parti démocrate. Mais syndicalistes et industriels sont loin d’être enchantés.
En une seule journée, la première de son mandat, Joe Biden a mis un terme à douze années de controverse, annulant d’un trait de plume, par décret présidentiel (executive order), le projet d’expansion du pipeline Keystone XL. Celui-ci devait s’élancer de la province canadienne de l’Alberta (nord-ouest du continent), riche en sables bitumineux, pour traverser en diagonale les magnifiques paysages du Dakota et du Montana puis aboutir au centre géographique des Etats-Unis, dans le Nebraska. Là, il se serait connecté à un système d’oléoducs déjà opérationnel qui traverse le pays dans un axe nord-sud. Ce « serpent noir » de 1 500 kilomètres devait empiéter sur plusieurs territoires sacrés de tribus amérindiennes.
« Nous sommes très déçus par cette décision de Biden », confie Mark McManus, le président de United Association, le syndicat des ouvriers du secteur parapétrolier (340 000 adhérents), dont le siège se trouve près de Washington. Avec l’annulation du pipeline, ce sont 11 000 emplois potentiels qui partent en fumée. « Je pensais qu’il prendrait davantage de temps pour examiner les choses », insiste cet électeur du candidat démocrate à propos de ce projet relancé par l’administration de Donald Trump, mais bloqué par une forte mobilisation citoyenne.
Sa réaction est symptomatique : la révolution verte de Joe Biden ne contentera pas tout le monde. Outre l’arrêt de Keystone XL, le nouveau président a réengagé les EtatsUnis dans l’accord de Paris sur le climat, imposé un moratoire sur les forages pétroliers pour les terres appartenant à l’Etat fédéral, suspendu les réglementations anti-environnementales de Donald Trump (qui avait considérablement réduit la surface de certaines zones protégées). De plus, Biden affirme que le climat constituera un élément essentiel de sa politique étrangère et de sécurité nationale. A cet effet, il a nommé le très expérimenté John Kerry – qui fut ministre des Affaires étrangères – au poste d’« envoyé présidentiel spécial pour le climat ». Autre mesure symbolique : la flotte des 645 000 véhicules gouvernementaux passera au « tout électrique » dans les prochaines années.
Voilà encore un an, peu d’écologistes misaient sur la fibre verte de ce président né à Scranton, la capitale du charbon en Pennsylvanie. C’était compter sans la pression de l’aile gauche du Parti démocrate, en particulier du mouvement Sunrise. Depuis 2018, cet influent groupe de jeunes militants défend l’idée d’un « Green New Deal » : un ambitieux train de mesures pour engager la transition écologique et économique du pays, inspiré du New Deal de Franklin D. Roosevelt. Joe Biden a, conformément à leurs souhaits, nommé la députée amérindienne Deb Haaland, très au fait des sujets environnementaux et climatique, au ministère de l’Intérieur, dont dépend la gestion des ressources naturelles et des parcs nationaux. « Le Parti démocrate a glissé vers la gauche sous l’effet du militantisme des jeunes, observe Max Friedman, doyen de l’American University à Washington. Aujourd’hui, Joe Biden sait qu’il doit se montrer plus progressiste en matière d’écologie que Barack Obama. »
Dans le même temps, le locataire de la Maison-Blanche devra aussi rassurer son électorat centriste, tout comme le patronat ou les syndicats. Ceux-ci voient en effet d’un mauvais oeil les changements radicaux prônés par les écologistes. « C’est un
jeu d’équilibriste », prévient Barry Rabe, professeur de politique environnementale à l’université du Michigan. D’autant que le plus dur est à venir. « Jusqu’à présent, toutes les décisions de Biden ont été prises par décrets, lesquels peuvent être remis en cause devant les tribunaux ou par un éventuel successeur républicain. Si le président veut inscrire ces avancées dans le marbre, il devra passer par la loi, c’est-à-dire par un vote du Congrès », précise ce spécialiste.
Les investissements massifs dans les énergies renouvelables seront un vrai test. Joe Biden veut les faire adopter rapidement par les parlementaires dans le cadre d’un plan de 2 000 milliards de dollars destiné à neutraliser les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, et à « rebâtir [l’économie] en mieux ». Ce slogan de campagne (« Build Back Better ») pourrait toutefois buter sur le Sénat, où démocrates et républicains détiennent 50 sièges chacun. « Il faut 60 voix pour faire passer le texte ; or, certains sénateurs républicains d’Etats riches en énergies fossiles, tel le Wyoming, pourraient s’y opposer », reprend Barry Rabe. Le sénateur démocrate de VirginieOccidentale, Joe Manchin, vient d’ailleurs d’affirmer que Joe Biden avait eu tort de tuer le projet de pipeline Keystone XL… La transition verte ne sera pas un long fleuve tranquille. ✸