Royaume-Uni Vaccins : la revanche de Boris Johnson
Près de 15 % des Britanniques ont déjà bénéficié d’au moins une injection. Les artisans du Brexit jubilent, alors que l’Union européenne s’enlise.
Tous les jours, Andrew Neil, ancien journaliste star de la BBC, galvanise son million de suiveurs sur Twitter : « Près de 1 million d’injections réalisées ce weekend au Royaume-Uni ! » claironnait-il le 1er février. Quarante-huit heures plus tard, le pays franchit le cap des 10 millions d’habitants ayant reçu au moins une dose de vaccin, soit 15 % de la population. Avec une moyenne de 500 000 piqûres quotidiennes, l’objectif de 15 millions de personnes vaccinées à la mi-février semble à portée de seringue. Des chiffres qui agissent comme un euphorisant sur l’un des Etats les plus meurtris par la pandémie – le cap des 100 000 victimes a été passé le 26 janvier – et qui a, un temps, sombré dans le désespoir. A l’heure où le nombre de cas de contamination et de décès quotidiens commence à décroître, tout un peuple s’accroche au succès de la campagne de vaccination, un projet lancé dans l’opprobre général au printemps dernier.
A l’époque, le Royaume-Uni ne compte que 1 millier de morts. Critiqué pour sa gestion chaotique de l’épidémie, le Premier ministre, Boris Johnson, confie à Kate Bingham, biochimiste reconvertie dans le capital-risque, une mission de six mois : identifier, parmi plus de 200, la poignée de firmes dans lesquelles investir et auprès desquelles passer commande de centaines de millions de doses de vaccin avant les autres. A peine a-t-elle constitué sa task force – des experts en logistique et acheteurs de l’industrie pharmaceutique – qu’une grande partie de la presse britannique lui tombe dessus. Elle a en effet le tort d’être l’épouse de Jesse Norman, député conservateur et secrétaire d’Etat au Trésor. « Cette connivence entre copains pue », alerte Angela Rayner, députée travailliste, tandis que le très renommé think tank Runnymede Trust attaque le gouvernement en justice pour « nomination illégale ». Le refus de Kate Bingham de rejoindre l’opération européenne d’achat commun de vaccins envenime le débat. « Impardonnable », jugent les libéraux-démocrates. « Encore une fois, l’idéologie du Brexit passe avant la protection des vies humaines », assène Bell Ribeiro-Addy, député travailliste. Kate Bingham n’en a cure. « BoJo » lui a donné carte blanche. En quinze jours, elle dresse une liste de 23 projets de vaccin utilisant quatre technologies différentes. Sept sont retenus : Pfizer, AstraZeneca, Moderna, Janssen, Novavax, Valvena et Sanofi. La financière de choc et son équipe ont eu le nez creux. Leurs carnets d’adresses leur permettent d’obtenir des rendez-vous rapides avec ces labos. La France, l’Italie, les Pays-Bas et l’Allemagne font de même, mais sont rappelés à l’ordre par la Commission européenne, qui insiste sur la nécessité d’agir à 27 et non en ordre dispersé. L’Europe va perdre de précieux mois, alors que le Royaume-Uni accélère.
A la fin du mois de juin, Londres signe des accords avec AstraZeneca, Pfizer, Valvena et GSK. Puis, en août, avec Janssen et Novavax. Au total, 367 millions de doses sont commandées pour un coût de 3,8 milliards d’euros. Un autre milliard est investi dans la construction d’infrastructures de production en Grande-Bretagne, notamment pour AstraZeneca et Valvena. « Nous avons été les plus rapides et les plus rusés. Nous étions les premiers à passer commande et à déployer la logistique pour la campagne de vaccination », résume – en toute modestie – Kate Bingham, devenue l’égérie du pays, devant les parlementaires britanniques en décembre dernier.
Pour Boris Johnson, cette réussite est à elle seule une revanche, et une justification du Brexit. Son dernier pari : porter à douze semaines le délai entre la première et la seconde injection. Et tant pis s’il y a encore, sur ce sujet, de sérieux doutes scientifiques. Galvanisés, les conservateurs vont plus loin. Le 4 février, l’université d’Oxford a avancé l’idée de mixer des vaccins – par exemple AstraZeneca et Pfizer – pour gérer les pénuries. « On espère que le mélange accroît aussi l’efficacité de l’immunisation », ajoute Nadhim Zahawi, sous-secrétaire d’Etat chargé de la vaccination. Kate Bingham finance une étude portant sur 800 volontaires. Résultats attendus au mois de juin. ✷