Union européenne Ursula von der Leyen murée dans sa tour d’ivoire
En pleine tourmente, la présidente de la Commission européenne est déconnectée du terrain.
Ien faut beaucoup pour faire sortir Justin Welby, le très distingué archevêque de Canterbury, de son British quant-à-soi. Une personne vient pourtant de réussir cet exploit : Ursula von der Leyen. Vendredi 29 janvier, la présidente de la Commission européenne a pris une décision qui allait mettre le feu au RoyaumeUni. Elle annonce que les exportations de vaccins produits sur le Vieux Continent seront désormais soumises à autorisation. Une façon, pense-t-elle alors, de dissuader les laboratoires de revoir à la baisse leurs livraisons aux Vingt-Sept, comme vient justement de le faire AstraZeneca. Mais « UVDL » – son surnom – commet une énorme boulette en incluant l’Irlande du Nord dans les « pays tiers ». Sans le vouloir, elle suspend le protocole, tout juste signé avec Londres, qui permet d’éviter le retour d’une frontière entre les deux Irlande. Tollé outre-Manche. Jusqu’à Justin Welby, donc, qui s’est fendu d’un tweet rappelant à Bruxelles ses obligations éthiques. Trop heureux de tacler ses ex-partenaires, le Premier ministre, Boris Johnson, accuse Ursula de mettre ses concitoyens en danger en voulant les priver de vaccins.
Ursula von der Leyen se rend compte de sa bévue. Elle rétropédale, mais le mal est fait. Depuis, l’onde de choc n’en finit pas de se propager au Berlaymont, le siège de la Commission. Une question revient en boucle : comment la présidente a-t-elle pu commettre une pareille gaffe ?
Au 13e étage, celui de la direction, c’est silence radio. Mais il faut trouver un lampiste. Le 1er février, le porte-parole de la Commission, Eric Mamer, lâche que le cabinet du vice-président exécutif, Valdis Dombrovskis, était « chef de file sur ce dossier ». Comprendre : UVDL est blanche comme neige. Pourtant, cet économiste letton, réputé pour son sérieux, n’a eu connaissance de ce « règlement d’exécution 2021/111 »du 29 janvier 2021 que tardivement. Quant à Michel Barnier, ex-négociateur du Brexit, qui s’est toujours montré soucieux de préserver l’équilibre de paix nord-irlandais, il n’a même pas été consulté.
Sommée, le 2 février, de s’expliquer devant les députés du Parti populaire européen (PPE), sa famille politique, Ursula von der Leyen finit par admettre qu’elle est « responsable pour tout ce qui se passe à la Commission ». L’exercice a dû être très désagréable pour cette politicienne si soucieuse de son image, et qui déteste être prise en faute… « Ich war’s nicht ! » (« C’est pas moi ! »), titrait ironiquement le Spiegel ce même 2 février – une allusion à sa réputation d’esquiver les problèmes lorsqu’elle était ministre outre-Rhin.
Aujourd’hui, on en sait un peu plus sur le mode de fonctionnement de cette médecin de formation, propulsée à la tête de l’Europe à la fin de 2019 sous l’impulsion du duo Macron-Merkel. « La chancelière a choisi la ministre la plus mauvaise de son gouvernement », déplore alors l’ancien président du Parlement européen, Martin Schulz. De fait, on lui reproche dans cette fonction les mêmes défauts que dans ses postes précédents : son obsession du contrôle et son incapacité à faire confiance. Seule aux commandes, elle ne gouverne qu’avec quelques fidèles, tous allemands. « Elle sort rarement de ce cercle, raconte une source. Elle est dans sa tour d’ivoire, traite 50 dossiers par jour. Dans ses équipes, il y a pourtant des gens très qualifiés, qui auraient pu lui éviter de commettre cette bourde… »
Isolée, UVDL n’a pas, depuis son arrivée, tissé de réseau au sein de la « maison ». « Elle ne grenouille pas dans les réunions et ne cherche pas à créer du lien, contrairement à son prédécesseur, Jean-Claude Juncker », poursuit notre interlocuteur. Du coup, elle n’a pas la main sur la Commission.
Mais comment diriger sans alliés ? Où trouver l’inspiration ? IDEA (Inspire, Debate, Engage and Accelerate Action) aurait pu l’aider. Poil à gratter, incubateur d’idées, ce cercle de réflexion interne à la Commission constitue une aide précieuse à la décision. « Mais depuis que von der Leyen est arrivée, IDEA ne sert plus à rien, regrette un autre. Elle n’y a même pas nommé de nouveau patron ! » Ce n’est pas le seul exemple de ce genre. En octobre dernier, 150 postes de haut niveau étaient encore vacants – directeurs généraux, chefs d’unité… Un nombre « anormalement élevé », selon l’ancien commissaire Günther Oettinger. Mais pourquoi nommer des gens que l’on ne sollicitera pas ? Alors que les critiques pleuvent, la présidente tente de redresser la barre. Rendez-vous avec les dirigeants de labos pharmaceutiques, interviews en cascade pour vanter son approche, intervention en plénière au Parlement européen le 10 février : l’opération reconquête est en marche.
« En décembre, elle avait déjà senti le vent du boulet, commente un observateur avisé. Elle avait mis une forte pression sur l’équipe de négociation pour qu’un deal soit conclu avec Londres. Idem pour l’accord d’investissement avec la Chine, signé dans les derniers jours de décembre. On sentait tous qu’elle voulait balancer un tweet et dire : “Je l’ai fait.” Finira-t-elle son mandat ? Sa chance, c’est que personne ne souhaite son échec, car il fragiliserait encore davantage le navire européen. » Et l’on ne change jamais de capitaine en pleine tempête. ✷