La réforme fantôme de l’assurance-chômage
Le gouvernement dit vouloir mettre en place de nouvelles règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Une décision plus politique qu’économique.
C’est une réforme qui se voulait audacieuse et qui vire au casse-tête. Il y a un an et demi, le gouvernement reprenait les rênes de l’assurance-chômage après que les partenaires sociaux se sont montrés incapables de se mettre d’accord sur les nouvelles règles d’indemnisation des chômeurs. A leur décharge, le défi lancé était immense : trouver 3,4 milliards d’euros d’économies à réaliser d’ici à 2021. Qu’importe ! L’exécutif allait, lui, les trouver. Au menu : une augmentation de la durée d’affiliation, une dégressivité des prestations pour les plus hauts revenus et, surtout, un nouveau calcul du salaire journalier de référence servant de base au calcul de l’indemnisation. Les entreprises étaient aussi touchées au portefeuille via un système de bonus-malus dans sept secteurs d’activité afin de limiter la multiplication des contrats courts. Nous sommes en août 2019. Une éternité. La météo de l’emploi semble alors clémente et les décrets d’application tombent rapidement.
Mais la crise sanitaire est passée par là. Les nouvelles règles, fixées par beau temps, ne sont pas du tout adaptées quand la tempête pointe son nez. Au printemps dernier, l’exécutif doit rétropédaler. Les changements qui devaient voir le jour courant 2020 sont mis en attente, ceux déjà en oeuvre sont repoussés. Et un pépin n’arrivant jamais seul, en novembre, le Conseil d’Etat censure deux dispositions clefs : le bonus-malus, pour une question de forme, mais surtout la fameuse formule du salaire journalier de référence qui « porte atteinte au principe d’égalité ». Un véritable revers. Après la réforme des retraites évaporée, voici celle de l’assurance-chômage bien mal partie. La promesse de campagne d’Emmanuel Macron se retrouve à terre.
A terre, mais pas enterrée… Malgré la crise, le Premier ministre, Jean Castex, et la ministre du Travail, Elisabeth Borne, ne cessent de le répéter : c’est une bonne réforme, qui doit être menée à son terme. Et la voilà d’ailleurs qui resurgit en ce début d’année 2021. « A un an de la présidentielle, le chantier des retraites étant abandonné, c’est la seule réforme qu’Emmanuel Macron peut encore engager », analyse Bernard Vivier, de l’Institut supérieur du travail. Le gouvernement semble en tout cas pressé d’en finir. « L’esprit de la réforme sera conservé. Il s’agit de trouver des règles justes et efficaces et de réussir à les inscrire au mieux dans un contexte économique mouvant », résume le ministère du Travail. Objectif : publier un nouveau décret fin février.
Mais pas question d’attaquer le sujet par la face nord. Des aménagements vont être proposés sur les quatre dispositions majeures, qui resteront assouplies le temps que le marché du travail reprenne des couleurs. Concrètement, une date sera fixée pour qu’entrent « en même temps » en vigueur le nouveau salaire journalier de référence et la période de bonus-malus. Ces deux mesures pourraient-elles voir le jour au printemps prochain ? Personne n’y croit vraiment. « Les restrictions sanitaires étant toujours en place aujourd’hui, cela semble impossible », souligne Michel Beaugas, de Force ouvrière. Il faudrait en outre six semaines à Pôle emploi pour adapter son
système d’information. « Ça se fera plutôt pendant la torpeur de l’été », sourit un bon connaisseur du dossier.
Les règles concernant l’éligibilité et la dégressivité seraient, elles, soumises à des indicateurs macroéconomiques « de retour à meilleure fortune ». Le ministère du Travail dit plancher sur le sujet, cherchant à combiner un indice de stock qui permette d’avoir une photographie du pays (nombre de chômeurs…), et un autre de flux basé sur l’évolution des opportunités sur le marché du travail (offres d’emploi…). « Il est tout à fait justifié de retarder certaines règles, car nous sommes en bas de cycle, mais les conditionner ponctuellement à de tels agrégats chiffrés repose davantage sur des considérations politiques, estime Basile Vidalenc, de l’Ecole d’économie de Paris. Si la logique économique primait, ces conditions d’ouverture de droits devraient être réversibles, en cas de retour à moins bonne fortune. » Un avis partagé par Bruno Coquet, chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques, qui estime tout de même que « c’est jouable à condition de se baser sur une pluralité d’indicateurs. Prendre uniquement le taux de chômage ne suffit pas, car il est par exemple artificiellement diminué grâce à la mise en oeuvre de l’activité partielle, souligne cet expert. Et ce n’est pas parce que l’on crée beaucoup d’emplois qu’il diminue. » François Hollande en a fait l’amère expérience en 2013.
Reste que les voyants pourraient tarder à se remettre au vert. Le chômage pourrait atteindre 10,9 % au premier trimestre 2021, avant de diminuer progressivement pour atteindre 9,1 % à la fin de 2022, estime la Banque de France. Le nombre de cadres pourrait reculer cette année pour la première fois depuis 1993, avance l’Apec… Pour beaucoup, il s’agit avant tout de montrer que la promesse de campagne a été tenue. « Pour éviter de décaler sans arrêt les mesures, le gouvernement a sorti ce nouvel outil. Mais c’est une façon de dire qu’il a fait la réforme, même si elle ne voit pas le jour », estime Jean-François Foucard, de la CFE-CGC. « En 2022, les partenaires sociaux reprennent la main pour négocier une nouvelle convention Unédic », rappelle Marylise Léon, de la CFDT. La balle sera alors à nouveau dans le camp des partenaires sociaux, et la réforme tant voulue par Emmanuel Macron pourrait n’être plus qu’un fantôme. ✸