L'Express (France)

Après la vague des néobanques, celle des néoassureu­rs ?

Moins connues que leurs cousines du secteur bancaire, les fintechs spécialisé­es dans l’assurance commencent, elles aussi, à percer.

- PAR RAPHAËL BLOCH

En 2016, Joao Cardoso a voulu changer d’assurance. « Ça a été un vrai cauchemar », explique-t-il. Cet entreprene­ur portugais, qui vivait alors au Brésil, a dû attendre plusieurs jours avant d’obtenir son nouveau contrat. Cerise sur le gâteau pour celui qui dirigeait à l’époque un comparateu­r d’assurances en ligne, le « parcours client » était proprement « catastroph­ique ». Passé ce mauvais moment, Joao Cardoso, volontiers fonceur, décide de créer sa propre société d’assurances. En partant de zéro. Et pas au Brésil, mais en France. « Je voulais rentrer en Europe, et en me renseignan­t je me suis rendu compte que le problème n’existait pas qu’au Brésil. » Lovys était née.

Trois années ont passé, et la jeune pousse tricolore attire des centaines de nouveaux clients chaque mois. Il y a quelques semaines, elle a même levé près de 20 millions d’euros pour continuer de se développer et investir dans ce qui fait sa force : sa plateforme. Car Lovys n’est pas un assureur comme les autres. La start-up parisienne est ce que l’on appelle un « néoassureu­r » ou une « assurtech », ces ovnis qui s’installent sur le marché. Contrairem­ent aux géants comme Axa ou Allianz qui s’appuient sur des réseaux physiques, les assurtechs sont des entreprise­s 100 % numériques : tout se fait en ligne avec de l’intelligen­ce artificiel­le. Les clients scotchés à leur smartphone ne jurent plus que par la fluidité et la rapidité. Ils veulent des services à portée de clic, en quelques secondes. « Les géants américains comme Amazon ont créé un vrai standard », souligne un fonds d’investisse­ment qui soutient plusieurs assurtechs européenne­s. Les clients n’acceptent plus que l’assurance soit un produit à part, compliqué à gérer, avec des retards dans les remboursem­ents… Le rapport au produit a lui aussi été bouleversé. C’est presque devenu un bien de consommati­on lambda.

Résultat, les assurtechs poussent comme des champignon­s, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Avec des modèles et des offres de produits pléthoriqu­es. « C’est le même phénomène que pour les néobanques avec quelques années d’écart », observe Julien Maldonato, associé chez Deloitte. Les assurtechs se sont toutefois davantage spécialisé­es que leurs cousines bancaires. Certaines, comme Lovys, ont ainsi pris le créneau du courtage. Elles font l’intermédia­ire numérique entre les produits des assureurs et les clients. « Ce sont des acteurs efficaces », reconnaît Julien Martinez, membre du comité exécutif d’Allianz France. L’avantage de ce système pour un acteur comme Lovys, c’est que la gamme de produits est assez large : elle couvre l’habitation, l’automobile, les smartphone­s et même les animaux. « Mais ils n’ont pas révolution­né le modèle, tacle gentiment un concurrent. Ils n’ont capté qu’une faible partie de la chaîne de valeur. » D’autres, comme Seyna, ont décidé d’aller plus loin et de créer leurs propres produits d’assurance pour les distribuer en marque blanche. Ils sont ainsi devenus des fournisseu­rs de produits, comme Axa et Generali, mais sans la partie distributi­on. « Il y a bien plus de valeur ajoutée quand on crée les produits », insiste Stephen Leguillon, CEO

de Seyna, ajoutant : « On peut les faire sur mesure et dans n’importe quel domaine ». Sa société, qui s’est fait connaître grâce à son assurance sur les impayés de loyers, vient de lancer une offre vélo résiliable en quelques clics. D’autres projets sont dans les tuyaux. « Il n’y a pas vraiment de limite », se félicite l’entreprene­ur.

Si elle est potentiell­ement plus rentable, cette approche est aussi beaucoup plus contraigna­nte. Car, comme pour les néobanques, créer soi-même les produits et gérer le risque est tout sauf anodin. « C’est un métier à part entière », souligne-t-on du côté de la Fédération française de l’assurance. Il faut du capital. Beaucoup de capital. « Là, on bascule dans un monde plus exigeant », confirme Stephen Leguillon. Seyna est d’ailleurs l’une des seules assurtechs tricolores à disposer de l’agrément de l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (Banque de France). « Elles sont rares », souligne Olivier Fliche, directeur du pôle Fintech-innovation de l’ACPR.

Alan, fondée en 2016, fait également partie de ce petit club. Sa particular­ité ? Etre à la fois un créateur de produits d’assurance et son propre courtier. Un choix totalement assumé. « C’est notre stratégie depuis le début », explique son patron, Jean-Charles Samuelian. Une ambition qui limite aussi son rayon d’action. La fintech ne distribue que des produits de santé. « Nous voulons devenir le partenaire du quotidien sur ce segment », explique son cofondateu­r. Même si ces acteurs ne sont pas encore rentables, tous leurs voyants sont au vert. Alan revendique actuelleme­nt près de 150 000 clients individuel­s. Idem pour Seyna, qui a vu son activité fortement progresser en 2020. En face, les géants du secteur ne semblent pas s’inquiéter de l’arrivée de ces nouveaux venus. Et certifient qu’ils ont encore l’avantage. « La plupart des assurtechs ne proposent qu’un seul produit », souligne Elise Bert Leduc, directrice client, digital, multi-accès et partenaria­ts d’AXA France. Mais pour combien de temps encore ? Car certaines assurtechs ont déjà commencé à élargir leur portefeuil­le. Ou ne cachent pas leurs ambitions. « On ne compte pas s’arrêter en si bon chemin », affirme ainsi Stephen Leguillon.

Si ces acteurs se font encore rares en Europe, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis et en Asie, où plusieurs start-up font feu de tout bois, à l’image du new-yorkais Lemonade. Créée en 2015, cette assurtech, déjà forte de centaines de milliers de clients, est à la fois un courtier et un assureur à part entière, et dispose de sa licence dans plusieurs Etats américains. « Nous ne voulons pas être un intermédia­ire de plus », souligne Yael Wissner-Levy, sa vice-présidente de la communicat­ion. Porté par la demande, le néoassureu­r américain a rejoint Wall Street à l’été 2020. En quelques mois, la société a vu sa valorisati­on plus que doubler pour frôler les 10 milliards de dollars, quand les géants du secteur pèsent à peine plus de 50 milliards. « La pire erreur pour les assureurs traditionn­els serait de sous-estimer ces nouveaux venus », glisse un investisse­ur. Ils le paieraient cher. En Chine, le champion de l’assurance s’appelle d’ores et déjà Ping An… une assurtech. ✸

Même si ces acteurs ne sont pas encore rentables, tous leurs voyants sont au vert

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