Après la vague des néobanques, celle des néoassureurs ?
Moins connues que leurs cousines du secteur bancaire, les fintechs spécialisées dans l’assurance commencent, elles aussi, à percer.
En 2016, Joao Cardoso a voulu changer d’assurance. « Ça a été un vrai cauchemar », explique-t-il. Cet entrepreneur portugais, qui vivait alors au Brésil, a dû attendre plusieurs jours avant d’obtenir son nouveau contrat. Cerise sur le gâteau pour celui qui dirigeait à l’époque un comparateur d’assurances en ligne, le « parcours client » était proprement « catastrophique ». Passé ce mauvais moment, Joao Cardoso, volontiers fonceur, décide de créer sa propre société d’assurances. En partant de zéro. Et pas au Brésil, mais en France. « Je voulais rentrer en Europe, et en me renseignant je me suis rendu compte que le problème n’existait pas qu’au Brésil. » Lovys était née.
Trois années ont passé, et la jeune pousse tricolore attire des centaines de nouveaux clients chaque mois. Il y a quelques semaines, elle a même levé près de 20 millions d’euros pour continuer de se développer et investir dans ce qui fait sa force : sa plateforme. Car Lovys n’est pas un assureur comme les autres. La start-up parisienne est ce que l’on appelle un « néoassureur » ou une « assurtech », ces ovnis qui s’installent sur le marché. Contrairement aux géants comme Axa ou Allianz qui s’appuient sur des réseaux physiques, les assurtechs sont des entreprises 100 % numériques : tout se fait en ligne avec de l’intelligence artificielle. Les clients scotchés à leur smartphone ne jurent plus que par la fluidité et la rapidité. Ils veulent des services à portée de clic, en quelques secondes. « Les géants américains comme Amazon ont créé un vrai standard », souligne un fonds d’investissement qui soutient plusieurs assurtechs européennes. Les clients n’acceptent plus que l’assurance soit un produit à part, compliqué à gérer, avec des retards dans les remboursements… Le rapport au produit a lui aussi été bouleversé. C’est presque devenu un bien de consommation lambda.
Résultat, les assurtechs poussent comme des champignons, en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. Avec des modèles et des offres de produits pléthoriques. « C’est le même phénomène que pour les néobanques avec quelques années d’écart », observe Julien Maldonato, associé chez Deloitte. Les assurtechs se sont toutefois davantage spécialisées que leurs cousines bancaires. Certaines, comme Lovys, ont ainsi pris le créneau du courtage. Elles font l’intermédiaire numérique entre les produits des assureurs et les clients. « Ce sont des acteurs efficaces », reconnaît Julien Martinez, membre du comité exécutif d’Allianz France. L’avantage de ce système pour un acteur comme Lovys, c’est que la gamme de produits est assez large : elle couvre l’habitation, l’automobile, les smartphones et même les animaux. « Mais ils n’ont pas révolutionné le modèle, tacle gentiment un concurrent. Ils n’ont capté qu’une faible partie de la chaîne de valeur. » D’autres, comme Seyna, ont décidé d’aller plus loin et de créer leurs propres produits d’assurance pour les distribuer en marque blanche. Ils sont ainsi devenus des fournisseurs de produits, comme Axa et Generali, mais sans la partie distribution. « Il y a bien plus de valeur ajoutée quand on crée les produits », insiste Stephen Leguillon, CEO
de Seyna, ajoutant : « On peut les faire sur mesure et dans n’importe quel domaine ». Sa société, qui s’est fait connaître grâce à son assurance sur les impayés de loyers, vient de lancer une offre vélo résiliable en quelques clics. D’autres projets sont dans les tuyaux. « Il n’y a pas vraiment de limite », se félicite l’entrepreneur.
Si elle est potentiellement plus rentable, cette approche est aussi beaucoup plus contraignante. Car, comme pour les néobanques, créer soi-même les produits et gérer le risque est tout sauf anodin. « C’est un métier à part entière », souligne-t-on du côté de la Fédération française de l’assurance. Il faut du capital. Beaucoup de capital. « Là, on bascule dans un monde plus exigeant », confirme Stephen Leguillon. Seyna est d’ailleurs l’une des seules assurtechs tricolores à disposer de l’agrément de l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (Banque de France). « Elles sont rares », souligne Olivier Fliche, directeur du pôle Fintech-innovation de l’ACPR.
Alan, fondée en 2016, fait également partie de ce petit club. Sa particularité ? Etre à la fois un créateur de produits d’assurance et son propre courtier. Un choix totalement assumé. « C’est notre stratégie depuis le début », explique son patron, Jean-Charles Samuelian. Une ambition qui limite aussi son rayon d’action. La fintech ne distribue que des produits de santé. « Nous voulons devenir le partenaire du quotidien sur ce segment », explique son cofondateur. Même si ces acteurs ne sont pas encore rentables, tous leurs voyants sont au vert. Alan revendique actuellement près de 150 000 clients individuels. Idem pour Seyna, qui a vu son activité fortement progresser en 2020. En face, les géants du secteur ne semblent pas s’inquiéter de l’arrivée de ces nouveaux venus. Et certifient qu’ils ont encore l’avantage. « La plupart des assurtechs ne proposent qu’un seul produit », souligne Elise Bert Leduc, directrice client, digital, multi-accès et partenariats d’AXA France. Mais pour combien de temps encore ? Car certaines assurtechs ont déjà commencé à élargir leur portefeuille. Ou ne cachent pas leurs ambitions. « On ne compte pas s’arrêter en si bon chemin », affirme ainsi Stephen Leguillon.
Si ces acteurs se font encore rares en Europe, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis et en Asie, où plusieurs start-up font feu de tout bois, à l’image du new-yorkais Lemonade. Créée en 2015, cette assurtech, déjà forte de centaines de milliers de clients, est à la fois un courtier et un assureur à part entière, et dispose de sa licence dans plusieurs Etats américains. « Nous ne voulons pas être un intermédiaire de plus », souligne Yael Wissner-Levy, sa vice-présidente de la communication. Porté par la demande, le néoassureur américain a rejoint Wall Street à l’été 2020. En quelques mois, la société a vu sa valorisation plus que doubler pour frôler les 10 milliards de dollars, quand les géants du secteur pèsent à peine plus de 50 milliards. « La pire erreur pour les assureurs traditionnels serait de sous-estimer ces nouveaux venus », glisse un investisseur. Ils le paieraient cher. En Chine, le champion de l’assurance s’appelle d’ores et déjà Ping An… une assurtech. ✸
Même si ces acteurs ne sont pas encore rentables, tous leurs voyants sont au vert