Les sirènes du capital universel, par Robin Rivaton
L’idée d’un patrimoine pour tous est séduisante. Mais son financement ne coule pas de source.
Lors de la présidentielle de 2017, Benoît Hamon avait défendu le revenu de base universel, cette prestation sociale qui bénéficierait à tous, sans conditions de ressources ni obligation ou absence de travail. Voilà que commence la campagne présidentielle de 2022 avec le capital de base universel. Alors que Marine Le Pen rafle 34 % du vote des 18-34 ans, Stanislas Guerini, délégué général de La République en marche (LREM), a proposé d’offrir un prêt à taux zéro de 10 000 euros pour chaque jeune de 18 à 25 ans.
Signe des temps d’impuissance
Cette idée est très ancienne, puisqu’on la retrouve sous la plume du Britannique Thomas Paine, en 1797. Il s’agissait d’offrir une dotation en capital à tous les hommes valides de 21 ans afin de leur donner les moyens d’éviter de devenir pauvre. Comme beaucoup d’idées radicales, elle a été enterrée pendant les jours heureux de la socialdémocratie pour mieux resurgir en ces temps d’impuissance. Pendant l’élection présidentielle américaine de 2020, Cory Booker, candidat démocrate, a proposé de créer un livret jeune financé par l’Etat, liquidable à 18 ans, en vue de corriger les inégalités de richesse. Le mouvement Black Lives Matter a mis sous les projecteurs cette question. La proposition avait une base commune : 1 000 dollars à la naissance, complétés de manière annuelle en fonction des revenus du foyer dans lequel l’enfant est élevé. Cela aboutit à des dotations allant de 1 700 dollars pour les héritiers des familles les plus aisées à 46 200 dollars pour ceux ayant grandi dans les milieux les plus défavorisés.
En France, la proposition, lancée en janvier 2017 par France Stratégie dans un rapport sur la réforme des successions, a été reprise par Thomas Piketty dans son dernier essai, Capital et Idéologie. L’économiste plaide pour un héritage pour tous, où l’Etat organiserait le transfert de 120 000 euros pour tout citoyen âgé de 25 ans. C’est dans cette veine que s’inscrit le projet de LREM. C’est davantage la guerre des âges que celle des classes qui prévaut, l’argument invoqué étant le recul de l’âge de la transmission et l’absence de liquidité des patrimoines.
L’art d’utiliser sa « cagnotte »
De nombreux travaux de recherche ont montré que l’obtention d’un actif tôt dans la vie adulte permet d’obtenir de meilleurs résultats en termes de revenus, d’emploi, de stabilité conjugale, de santé... C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où l’enseignement supérieur est largement financé par la dette étudiante, et où l’acquisition de la résidence principale requiert un apport personnel de 15 à 20 % de la valeur du bien. Comme il n’y aurait aucun fléchage dans l’utilisation de cette somme, le risque est évidemment celui d’une mauvaise utilisation de cette « cagnotte », reflétant des rapports au temps qui varient – éducation léguée – ou l’accès à des opportunités d’investissement avec des rendements différents.
Un magnifique tour de passe-passe
A l’heure de l’argent infini, le financement paraît un élément mineur si ce n’est anecdotique. Néanmoins, quand on parle de millions de bénéficiaires touchant chacun des dizaines de milliers d’euros, les montants en jeu s’envolent rapidement. Pour Thomas Piketty, le paiement d’un tel projet devait venir d’un impôt sur le patrimoine. Celui-ci étant plus largement détenu par les ménages les plus aisés et les plus âgés, il y aurait une sorte de transfert, répondant à la problématique intergénérationnelle. Pour LREM, il s’agit d’un prêt qui sera remboursé sur trente ans à condition d’atteindre 1 800 euros brut de revenu par mois. Pour pallier le défaut de paiement estimé à 20 % et la couverture des taux d’intérêt, soit un coût de 500 millions d’euros par an pour les finances publiques, l’Etat français empruntera sur une longue période. Magnifique tour de passe-passe par lequel la génération future soutiendra un dispositif pour elle-même, sans aucun effort des plus âgés aujourd’hui.
De manière plus intelligente, en 2014, le Mouvement pour l’instauration de l’égalité face au patrimoine proposait d’accorder une avance sur héritage de 50 000 euros sans intérêt, que l’individu rembourserait lorsqu’il hériterait ou recevrait une donation. Cela représenterait une vraie mesure redistributive pour les près de 4 millions d’enfants qui grandissent dans un ménage où les parents n’auront aucun bien à transmettre. ✸