Les ravages d’un Etat « Big Mother »
INFANTILISATION. CET ÉTAT NOUNOU QUI VOUS VEUT DU BIEN
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Voilà un livre des plus agaçants. Il y a fort à parier d’ailleurs que certains lecteurs n’iront pas au-delà des quelques pages du prologue, tant Mathieu Laine ne fait aucun effort pour ménager leur susceptibilité. Car le président de l’institut Coppet, également entrepreneur et prof à Sciences po, hisse au plus haut le drapeau du libéralisme décomplexé qu’il porte depuis plus de vingt ans. Un courant dont les représentants se comptent sur les doigts d’une main dans le débat politique français. Rien que pour ça, ce petit livre doit être lu.
Mais ses mérites sont bien plus grands. Ainsi Mathieu Laine met le doigt, comme du sel sur une plaie, sur la menace qui, au-delà du tumulte dans lequel nous a plongés la crise sanitaire, risque de dévitaliser notre société plus sûrement que le Covid-19 : l’infantilisation croissante, et chaque jour davantage consentie, conduisant chacun d’entre nous à abandonner de son plein gré sa liberté à cet Etat qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous. A fortiori quand il s’agit, comme aujourd’hui, de sauver notre vie…
La tendance n’est certes pas nouvelle, dans un pays qui s’est bâti autour de son Etat, lequel, plus qu’ailleurs, est vu comme impartial, juste, protecteur et bienveillant. Mais voilà, au fil des décennies, l’Etat bâtisseur est devenu régalien, puis social, puis plus largement « providence » et, désormais, « nounou » (déjà, en 2010, Mathieu Laine avait publié La Grande Nurserie), au point d’alimenter une nouvelle idéologie, le « précautionnisme », religion de la protection absolue et du risque zéro. La menace aujourd’hui vient peut-être moins de Big Brother que de « Big Mother »…
Or la gestion de la crise a consacré la défaite des approches infantilisantes et pénalisantes face à celles, nourries de responsabilité et de sciences cognitives, adoptées par plusieurs démocraties d’Asie et d’Océanie. Alors comment briser ce cercle vicieux ? Mathieu Laine plaide pour une réinvention du libéralisme autour du concept de « capacité de l’Etat », synthèse entre un libéralisme adepte du « laisser-faire » classique du xixe siècle et un libéralisme plus moderne prônant un Etat régulateur dans lequel les pouvoirs publics ont la pleine capacité de réglementer les marchés, de taxer les agents et de garantir le bon fonctionnement de la concurrence, mais aussi de financer des infrastructures, la recherche ou les transports. Une vision du rôle de l’Etat qui a fait ses preuves en Corée du Sud, à Taïwan ou en Estonie… et qui constituerait le socle prometteur d’un futur programme présidentiel. Car, conclut Mathieu Laine, « il n’y a pas plus noble programme que de refaire de nous une société d’adultes ». ✸