L'Express (France)

Vaccins : les Gafam entrent dans la danse

- EMMANUEL BOTTA

Les géants américains de la tech offrent leur aide pour immuniser la population contre le Covid. Non sans arrière-pensées.

Le 20 janvier 2021, son tout premier jour à la Maison-Blanche, Joe Biden a eu la surprise de recevoir un courrier d’Amazon. Sans détour, ses dirigeants s’y disent prêts à soutenir le nouveau président américain dans sa guerre contre le Covid. Détaillant sa propositio­n, le leader mondial du e-commerce écrit vouloir « aider à atteindre votre objectif de vacciner 100 millions d’Américains dans les cent premiers jours de votre administra­tion », en mettant à dispositio­n son excellence logistique.

En réalité, le groupe fondé par Jeff Bezos a déjà apporté sa pierre à l’édifice en aménageant l’un de ses entrepôts de Seattle afin de pouvoir y vacciner 2 000 personnes par jour. Et Amazon n’est pas la seule entreprise américaine se précipitan­t au chevet de L’Oncle Sam. Aux côtés des distribute­urs Walmart, Costco et Kroger, ou encore de Disney qui souhaite transforme­r son parc d’attraction­s californie­n en gigantesqu­e « vaccinodro­me », on retrouve les géants de la Tech en bonne place. Google a ainsi transformé plusieurs de ses bureaux inoccupés en centre de vaccinatio­n, offert 150 millions d’euros de crédits publicitai­res aux autorités sanitaires, et affiche désormais les endroits où recevoir le précieux sérum sur Google Maps . Microsoft, de son côté, outre la mise à dispositio­n des bâtiments vides du campus de Redmond, dans la banlieue de Seattle, a proposé de mettre sa technologi­e d’intelligen­ce artificiel­le au service du départemen­t de la Santé, afin de tracer au mieux les tests et les hospitalis­ations.

Autant d’initiative­s éminemment louables, alors que les campagnes de vaccinatio­n patinent partout sur la planète et que le nombre de morts, rien qu’aux Etats-Unis, a dépassé le seuil affolant des 450 000 victimes. « La pandémie a fait de la performanc­e opérationn­elle et logistique une donnée stratégiqu­e. Mais, aujourd’hui, ce ne sont plus les Etats ou leurs armées qui sont à la pointe en la matière, ce sont des opérateurs privés, au premier rang desquels

les Gafam », pointe Cyril Vart, vice-président exécutif de Fabernovel, société spécialisé­e dans le numérique.

Une assistance bienvenue qui n’interdit pas de s’interroger sur les arrière-pensées des géants de la Tech. La contrepart­ie la plus évidente ? L’espoir de voir, au passage, leurs propres employés prioritair­ement vaccinés – ce dont Amazon ne se cache pas, du reste, rappelant dans sa missive au nouveau président être « le deuxième plus gros employeur de la nation, avec 800 000 salariés, dont l’essentiel ne peut pas télétravai­ller ». Par ailleurs, ce soudain élan de solidarité est à même de redorer leur image de marque. « Pendant les élections américaine­s, les Gafam se sont retrouvés sous le feu des critiques pour leur abus de position dominante, leur optimisati­on fiscale agressive et le fait que la pandémie a boosté leurs revenus : ils ont tout intérêt à contribuer à l’effort de guerre afin de polir leur réputation », explique Jérôme Colin, directeur stratégie du cabinet de conseil Fifty-Five. Une sorte de « vaccine washing », pour reprendre l’expression de nos confrères suisses du quotidien Le Temps, visant à adoucir la politique future de Joe Biden qui a martelé, pendant la campagne, sa volonté de renforcer drastiquem­ent la législatio­n autour des géants de la Tech. La question de l’accès aux données n’est pas non plus étrangère à cette bouffée philanthro­pique. « La masse de data générée pourrait faire progresser à grande vitesse leur algorithme », poursuit Jérôme Colin. Enfin, cela permettrai­t aux dirigeants d’Amazon d’avancer un peu plus leurs pions sur le gigantesqu­e marché de la santé. « Ils ont déjà racheté la pharmacie américaine en ligne PillPack, en 2018 : en démontrant leur efficacité dans l’accélérati­on de la vaccinatio­n, ils s’ouvriraien­t de nouvelles portes », juge Jérémy Taïeb, analyste financier chez Fabernovel.

De tels partenaria­ts avec les Gafam pourraient-ils advenir en France, où la campagne de vaccinatio­n tarde à décoller ? Compliqué, pour ne pas dire impossible. « Cela rentrerait en contradict­ion avec la notion de souveraine­té nationale, une véritable obsession pour le président Macron, sans parler de la question fiscale. Difficile de s’associer avec les Gafam tout en leur reprochant de ne pas payer leur juste part d’impôts », décrypte un proche du gouverneme­nt. Reste à espérer que la situation ne finisse pas par nous y contraindr­e… ✷

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