L'Express (France)

Télécoms : Cellnex « pylône » l’Europe

Le groupe espagnol rachète les infrastruc­tures mobiles des opérateurs du Vieux Continent à coups de milliards d’euros. Pour mieux leur louer ensuite.

- PAR EMMANUEL PAQUETTE

Sur le papier, cette vie de « rentier » a tout pour faire rêver. Mais elle pourrait vaciller

Tobias Martinez Gimeno est un homme pressé. Pressé de dépenser son argent. Ce sexagénair­e espagnol aux poches profondes a déboursé pas moins de 35 milliards d’euros en sept ans pour faire de sa société Cellnex un acteur majeur des télécommun­ications. Inconnue du grand public, elle est pourtant bien présente en France, son principal marché après l’Espagne et l’Italie. Pour apercevoir sa présence, il suffit de lever la tête. L’entreprise madrilène a repris les tours de Free Mobile, de Bouygues Telecom et, la semaine passée, celles de SFR. Ces pylônes, perchés sur le toit des immeubles ou au sommet des châteaux d’eau et sur lesquelles reposent les antennes relais, sont nécessaire­s au fonctionne­ment des réseaux mobiles 2G, 3G, 4G et aujourd’hui 5G. Longtemps, ces forêts de métal sont restées la propriété des opérateurs, mais, sous le poids de leur dette et des investisse­ments à réaliser, ces derniers préfèrent récupérer de l’argent frais, quitte à en devenir de simples locataires. « Cela leur donne un coup de pouce bienvenu », souligne Mark Habib, analyste chez S&P Global. Car en temps de Covid, tous doivent accélérer le déploiemen­t coûteux de la fibre optique afin d’apporter du très haut débit aux PME et aux particulie­rs. Une aubaine pour Tobias Martinez Gimeno. Menées au pas de charge, ses multiples emplettes commencent aujourd’hui à payer. Grâce à ses marges confortabl­es, son groupe est valorisé presque autant qu’Orange pour un chiffre d’affaires 35 fois moindre. Et ce n’est pas fini. « Aux Etats-Unis, les deux tiers de ces infrastruc­tures ont déjà été vendues quand, en Europe, 60 % d’entre elles restent encore sous le contrôle des opérateurs », soulignait, en 2018, S&P Global dans une note. De quoi aiguiser les appétits sur le Vieux Continent, terre de promesses. Des fonds d’investisse­ment (KKR, Morgan Stanley…), mais aussi des sociétés propriétai­res de tours, comme les américains Crown Castle ou SBA Communicat­ions, l’ont bien compris et lorgnent de ce côté-ci de l’océan. « Lorsque l’on a observé cette tendance outre-Atlantique, nous avons estimé qu’il n’y avait aucune raison pour que cela ne se produise pas aussi en Europe, explique Vincent Cuvillier, directeur général de Cellnex en France. Nous sommes ainsi devenus les partenaire­s des géants des télécommun­ications, prêts à nous engager avec eux pour vingt ou trente ans. »

Tobias Martinez Gimeno s’est alors lancé dans une course folle aux rachats, tentant de prendre de vitesse ses concurrent­s américains. Quitte à en payer le prix.

Assis – ou plutôt perchés – sur un trésor de guerre évalué à 90 milliards d’euros, nombre d’opérateurs ont décidé de s’en séparer soit partiellem­ent (dans des coentrepri­ses), soit totalement, pour faire rentrer davantage d’argent frais dans leurs caisses. Des ressources nécessaire­s pour investir ensuite dans l’achat des fréquences 5G et les nouveaux équipement­s mobiles afin de couvrir l’ensemble des territoire­s. Ces derniers mois, les cessions se sont succédé à un rythme effréné. Mi-janvier, le géant espagnol Telefonica a vendu pour 7,7 milliards d’euros ses emplacemen­ts dans plusieurs pays d’Amérique latine et d’Europe à American Tower, à la barbe de Cellnex. Début février, celui-ci tenait sa revanche en prenant le contrôle des 10 500 sites d’Hivory, filiale d’Altice, maison mère de SFR, moyennant 5,2 milliards d’euros. L’opération survient quelques jours après avoir signé avec T-Mobile aux Pays-Bas (une filiale de Deutsche Telekom), pour une participat­ion majoritair­e de 250 millions d’euros. « Devenir locataire plutôt que propriétai­re leur permet ainsi de se concentrer sur des services à valeur ajoutée pour leurs clients, en nous laissant la gestion courante avec les bailleurs ou les collectivi­tés locales et les opérations de maintenanc­e », ajoute Vincent Cuvillier.

Cellnex, cette ancienne filiale du gestionnai­re d’autoroutes Abertis, a pris son

autonomie en 2015 lors d’une introducti­on en Bourse. Depuis, son cours a été multiplié par plus de 4 et sa valorisati­on a explosé au point d’avoisiner les 24 milliards d’euros. Son premier actionnair­e reste aujourd’hui la famille Benetton via son fonds Edizione, détenteur de 13 % du capital. Présent dans 12 pays avec plus de 100 000 sites et 20 000 à déployer au cours des prochaines années, Cellnex a de quoi séduire les marchés financiers. Les loyers qu’il encaisse sont réguliers et donnent de la visibilité aux investisse­urs grâce à ses locataires de confiance prêts à payer en temps et en heure. Sur le papier, cette vie de « rentier » a tout pour faire rêver. Sauf que plusieurs obstacles pourraient la faire vaciller.

Déjà, la riposte s’organise. Des géants historique­s du secteur des télécoms refusent encore de céder leurs pylônes à des tiers et préfèrent faire appel à la Bourse. Le britanniqu­e Vodafone prépare cette opération pour le mois de mars avec sa filiale Vantage Towers, tandis que

Stéphane Richard, le dirigeant d’Orange, appelle de ses voeux une alliance avec Deutsche Telekom afin de créer une société commune : « Il y a des choses plus malines à faire que de vendre simplement ses tours à Cellnex », a-t-il indiqué au quotidien The Financial Times. Sans doute a-t-il oublié l’avoir déjà fait en Espagne… Alex Mestre, le directeur général adjoint du groupe espagnol, n’en a pas pris ombrage. Il y voit même le signe d’une reconnaiss­ance. « Il y a des années, lorsque nous démarchion­s les opérateurs, ils ne nous écoutaient même pas, se rappelle-t-il. Aujourd’hui, grâce à nous et au nouveau marché que nous avons créé, ils sont pressés par les investisse­urs de dévoiler leur stratégie sur cette activité. »

Pourtant, Cellnex pourrait être la victime d’une consolidat­ion attendue de longue date dans le secteur des télécommun­ications. Elle a failli survenir en France plusieurs fois. Si ses clients venaient à se marier, ils n’auraient plus besoin de conserver en double leurs infrastruc­tures de réseaux mobiles. Comme si deux locataires décidaient d’habiter ensemble, laissant un des deux appartemen­ts vides, sans aucun repreneur. « Ce risque a été pris en compte dans certains contrats que nous avons signés, veut rassurer Alex Mestre. Et, de toute façon, la Commission européenne semble davantage ouverte à des rapprochem­ents transnatio­naux qu’à des noces entre les acteurs d’un même pays. » Reste qu’une autre menace se profile : et si l’acheteur à tous crins devenait la cible d’un concurrent à l’appétit d’ogre encore plus insatiable ? Après tout, American Tower pèse quatre fois plus que lui. « En Espagne, comme en France, la crise sanitaire a poussé les gouverneme­nts à protéger leurs entreprise­s stratégiqu­es, balaie le directeur général adjoint de Cellnex. Or nous fournisson­s les communicat­ions d’urgence pour des services de police ou les pompiers et, de ce fait, nous comptons parmi les infrastruc­tures critiques. » Rien ne l’empêche donc de continuer à grossir tranquille­ment. Et de poursuivre sa quête pour mettre la main sur ces tours d’argent. ✷

tournant dans l’histoire de McPhy. Et c’est la pandémie qui a joué le rôle de catalyseur. Pour Bruxelles, engagé sur la voie de la neutralité carbone à l’horizon 2050, l’hydrogène vert va devenir indispensa­ble. Produite par l’électrolys­e de l’eau à partir d’électricit­é issue du renouvelab­le ou du nucléaire, cette molécule pourrait décarboner une partie des usages industriel­s et de mobilité. De quoi espérer contrer, par la même occasion, la mainmise de la Chine sur les batteries électrique­s. Ayant pour ambition que la part de l’hydrogène passe de 2 % à 14 % dans le mix énergétiqu­e d’ici à 2050, la Commission va ouvrir le robinet des financemen­ts.

« L’enjeu, c’est de ne pas rater la phase de développem­ent qui s’ouvre à nous »

Les Etats membres ont, eux, fait la part belle à l’hydrogène dans leurs plans de relance. La France et l’Allemagne vont y consacrer 7 et 9 milliards d’euros d’ici à 2030. L’objectif affiché, de ce côté-ci du Rhin, étant de faire décoller une filière et de développer les usages dans le secteur de la mobilité. Pionnier de l’hydrogène vert, alors que 90 % de la production est encore issue d’hydrocarbu­res, McPhy est taillé pour ce plan. Il propose en effet ses électrolys­eurs aux industriel­s de la chimie, de l’énergie ou de la mobilité (60 % des ventes), mais aussi ses stations de recharge clefs en main à destinatio­n des collectivi­tés (40 % des ventes).

Ce positionne­ment, qui peut paraître évident aujourd’hui, ne l’a pas toujours été pour la PME. Lorsqu’elle s’est créée en 2008, McPhy proposait une solution de stockage d’hydrogène sous sa forme solide. Une technologi­e, sortie des laboratoir­es du CNRS, que le groupe a eu du mal à commercial­iser. « C’était un marché de niche qui ne permettait pas de développem­ent industriel majeur », reconnaît un ancien cadre du groupe. Grâce au virage pris en 2013 par le président fondateur, Pascal Mauberger, vers les électrolys­eurs et les stations de recharge, McPhy réalise un changement de cap qui se révélera providenti­el.

C’est avec ce nouveau modèle que l’ancien d’Air Liquide part à la conquête de la

Bourse en 2014. Les débuts sont prometteur­s. Optimistes, certains analystes tablent sur une explosion du chiffre d’affaires d’ici à trois ans. Mais le décollage de la filière est plus lent qu’escompté. La pépite de l’hydrogène craint d’avoir eu raison trop tôt.

La résilience de McPhy finit par payer en 2018, via l’arrivée au capital d’EDF Pulse Croissance. Une évidence pour l’électricie­n, qui voit dans l’hydrogène un débouché pour sa production nucléaire et renouvelab­le. « Nous cherchions un acteur mature, capable de passer à l’échelle industriel­le. McPhy cochait toutes les cases », note Michel Vanhaesbro­ucke, directeur du fonds d’investisse­ment du groupe public. Un soutien qui change tout. Outre les 16 millions d’euros investis, EDF multiplie les partenaria­ts de recherche, industriel­s et commerciau­x avec McPhy. « Il n’y a pas d’exclusivit­é dans nos relations, mais c’est un allié stratégiqu­e », souligne Laurent Carme.

Et notamment pour accompagne­r le développem­ent rapide de la PME drômoise. « L’enjeu, c’est de ne pas rater la phase de développem­ent qui s’ouvre à nous », alerte le dirigeant. Le sujet semble avoir été anticipé. A la faveur d’une augmentati­on de capital bouclée à la fin d’octobre, McPhy a engrangé 180 millions d’euros. Une manne, qui servira à financer la constructi­on d’une gigafactor­y d’électrolys­eurs en France dans les deux ans, et à répondre ainsi au boom espéré de la demande. « Un projet industriel », avec à la clef 500 embauches, selon Laurent Carme. Sans surprise, une poignée de régions font déjà les yeux doux à McPhy pour l’accueillir. ✷

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