De l’art de décider au temps du Covid
« En choisissant de ne pas écouter les experts, le président a voulu s’affranchir de la “dictature sanitaire” »
Retarder le reconfinement est un pari risqué, qui entrainera des décès sans soulager les tensions sociales.
Selon Winston Churchill, « le plus dur, c’est de prendre des décisions quand un tiers des informations dont vous disposez sont incomplètes, un tiers sont contradictoires et un tiers sont fausses ». Rajoutez à cela les incertitudes de la science, et l’imprévisibilité liée au caractère sournois de ce virus, qui nous réserve encore bien des surprises. L’intensité de la crise du Covid impose de multiples choix. Vacciner le plus possible avec une seule dose pour faire du chiffre, au risque d’une efficacité réduite pour ceux en ayant le plus besoin ? Fermer ou non les écoles ? Tester plus ou mieux ? Limiter les libertés individuelles pour sauver nos anciens, ou préserver la qualité de vie des plus jeunes ? La liste semble sans fin. Attardons-nous sur la problématique du confinement ou pas, serré ou ciblé.
Décider, c’est mettre en balance les impératifs sanitaires (nombre de vies sauvées par le confinement en évitant de nouvelles infections par le Covid et en garantissant l’accès aux soins des patients souffrant d’autres pathologies) avec les dégâts psychologiques, économiques (comment ne pas gripper plus encore la vie des entreprises) ou sociaux (dont la violence, qui est toujours un risque). Toute décision est par essence difficile. Mais « ne pas faire » est parfois tout aussi lourd de conséquences que « faire ». C’est un processus non pas binaire (choisir entre A ou B), mais à quatre étapes, considérant les avantages et les inconvénients de A vs ceux de B. Si l’on ajoute que l’analyse des avantages attendus d’une proposition peut faire intervenir de multiples facteurs, venus de champs très vastes, exprimés parfois de façons diverses et par de multiples voix, on comprend bien la difficulté, parfois exponentielle, de décider.
Notre collectif a depuis longtemps appelé à quitter rapidement la plage sur laquelle nous attendons l’arrivée du tsunami de la troisième vague. L’arrivée des variants nous y oblige. La vaccination aurait pu nous éviter d’en arriver là : en Israël, alors que 35 % de la population a été vaccinée, il a été constaté, en comparant un nombre considérable de personnes âgées de plus de 60 ans vaccinées ou pas, une baisse majeure des hospitalisations après la deuxième injection. Le tout dans le contexte d’une explosion du variant anglais là-bas aussi, suggérant fortement, voire confirmant, l’efficacité des vaccins à ARN contre ce dernier – de quoi, au passage, éteindre un vaccino-septicisme largement surestimé. Mais la vaccination patine chez nous et ne peut suffire à reculer des choix nécessaires.
Certes, une décision irréversible est toujours plus difficile qu’une décision réversible. De nombreux biais de fixation ou de déni guettent le décideur. La prise de décision intègre pari ou risque, et responsabilité par application du principe de précaution et crainte de la judiciarisation. Pour autant, le modèle social français, le « quoi qu’il en coûte », n’a finalement pas si mal amorti la crise économique, sauf pour certains secteurs qu’il convient d’aider plus, en rouvrant sans tarder par exemple musées, salles de cinéma, théâtres, et remontées mécaniques, où le risque de contamination est si faible !
Les médecins sont là pour avertir des risques, mais c’est aux élus de décider. A charge au politique de prendre en son âme et conscience la moins pire des décisions, au mieux des intérêts de la nation. En choisissant de ne pas écouter les experts, il a voulu montrer qu’il s’affranchissait de la « dictature sanitaire ». Il faut insister bien sûr pour que l’appel à la responsabilité de tous soit compris par chacun. La décision est solitaire, la réussite est collective. Mais en pariant sur la pédagogie, le politique cherche aussi à mieux faire peser sur les Français la responsabilité du reconfinement.
Quel aura été le gain à reculer l’inéluctable ? Nous n’échapperons pas aux tensions économiques et aux difficultés sociales, mais, en plus, nous aurons des décès. N’oublions pas que si la première vague a fait 30 000 morts, la deuxième, avec son confinement plus léger, en a causé 45 000. Et la troisième s’annonce plus grave encore. Le décideur est comptable de ses actes auprès du peuple. Espérons que ces considérations soient prises en compte pour l’avenir. ✸
* Pour PandemIA, association abritée par l’Institut de France, créée et animée par des universitaires français multidisciplinaires, le Pr Alexandre Mignon, anesthésiste-réanimateur, et le Pr Sadek Beloucif, anesthésiste-réanimateur, le Pr Patrick Berche, microbiologiste, membre de l’Académie nationale de médecine, le Pr Yvon Maday, mathématicien, le Pr Vincent Maréchal, professeur de virologie (Sorbonne Université), le Pr Didier Payen, anesthésiste-réanimateur, le Pr Gilles Pialoux, infectiologue.