La ruée vers Mars
Avec trois sondes en orbite, la planète rouge fait l’objet de nombreuses convoitises de la part des grandes puissances spatiales. Chacune pour des raisons différentes.
Jamais, dans son histoire tumultueuse, la planète Mars n’a été autant visitée. A la mi-février, trois nations tourneront autour d’elle. Certes, cela ne constitue pas une armada d’envahisseurs, mais une telle conjonction montre bien que la suprématie des grandes puissances spatiales se joue désormais à un peu plus de 200 millions de kilomètres de la Terre. Exit la Lune ou la Station spatiale internationale, si proches ; place à un nouveau terrain de jeu pour les Conquistadors du xxie siècle ! « Cela fait près de trente ans que Mars est considérée comme “la nouvelle frontière” pour des raisons non seulement scientifiques, mais aussi liées au développement des vols habités à long terme », explique Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du Système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). Sur le premier point, elle est présentée comme la jumelle de la Terre, car elle a pu accueillir les conditions nécessaires à l’apparition de la vie avant de devenir aride, froide et désertique. Comprendre sa destinée nous aidera à mieux mesurer le statut exceptionnel de notre planète dans le Système solaire – la seule à être habitable, avec une atmosphère dense, des océans, des forêts et des terres. Sur le second point, le pays qui posera l’un de ses ressortissants sur le régolite martien marquera le cours de l’humanité pour l’éternité.
Reste que nous sommes loin de ce « rêve étrange », même si quelques-uns le caressent, tel le milliardaire Elon Musk, patron de SpaceX, promettant d’envoyer 1 million d’individus sur la planète rouge dès le début des années 2030. Au cours de la prochaine décennie, la science demeurera l’objectif de toutes les agences spatiales, qui en font ces jours-ci la démonstration. Procédons par ordre d’arrivée sur Mars. La sonde Hope des Emirats arabes unis devait être la première à atteindre l’orbite martienne. « Il lui faudra quelques mois (d’ici à avril) pour se positionner sur son orbite de travail, entre 20 000 et 43 000 kilomètres d’altitude, avec l’ambition de mieux comprendre la dynamique de l’atmosphère et le climat », précise François Forget, du Laboratoire de météorologie dynamique de l’Institut Pierre-SimonLaplace (CNRS/ENS/Polytechnique/ Sorbonne Université). Le Français et son équipe font partie des rares scientifiques étrangers à avoir planché avec les Emiratis sur ce programme inédit. Contrairement aux Indiens, qui, en 2013, avec la mission Mangalyaan, avaient voulu réaliser une
simple démonstration technologique, la très jeune agence spatiale émiratie veut promouvoir l’éducation scientifique dans tout le monde arabe. Derrière le savoir, il y a toujours une arrière-pensée politique. Hope devrait fonctionner durant une année martienne (687 jours terrestres) afin de décortiquer les cycles saisonniers. « Un laps de temps suffisant pour observer durablement les différents événements climatiques, à l’instar des fameuses tempêtes martiennes », espère François Forget.
La deuxième sonde à arriver au voisinage de Mars doit être la chinoise Tianwen-1. « Il s’agit d’une mission technologique “tout-en-un” qui n’a jamais été entreprise en première tentative : un orbiteur, un atterrisseur et un rover », détaille Francis Rocard. Une fois de plus, comme elle l’avait fait avec la Lune, la Chine réalise « en accéléré » ce que les Etats-Unis ont mis plusieurs décennies à accomplir. Un pari ultra-risqué puisque, depuis les années 1960, la moitié des missions martiennes se sont soldées par des échecs. « Les Chinois ont le vent en poupe et investissent beaucoup d’argent dans leurs programmes spatiaux. Ils ont réussi à alunir à trois reprises, ils disposent d’une solide expérience pour contrôler des sondes sur de longues distances – l’une d’elles, Chang’e-2, lancée en 2012, se situe à plus de 200 millions de kilomètres de la Terre », rappelle Philippe Coué, chercheur spécialiste de la politique spatiale chinoise. Une fois en orbite, Tianwen-1 patientera jusqu’en mai avant de tenter de larguer son atterrisseur dans la vaste plaine d’Utopia Planitia – clin d’oeil adressé aux Américains, car c’est sur ce site que s’était posée la mission Viking-2, en septembre 1976. Côté matériel scientifique, le petit rover embarque des instruments classiques (caméra, radar, spectromètre, détecteur de champ magnétique, station météo) qui serviront essentiellement à sonder le sous-sol. « Rien de révolutionnaire là-dedans, mais s’ils réussissent l’exploit d’un “amarsissage”, les Chinois prouveront que leurs ingénieurs maîtrisent toutes les technologies », poursuit Philippe Coué. Le Parti communiste de Xi Jinping n’a jamais caché sa volonté de devenir la plus grande puissance spatiale mondiale. Elle le deviendrait, si elle respecte son agenda, dès 2028 en réalisant une mission de retour d’échantillons qui la verrait doubler sur le fil les Occidentaux.
« Récupérer des roches et les rapporter chez nous reste un Graal pour les scientifiques parce que c’est en laboratoire qu’on les étudiera le mieux », éclaire Sylvestre Maurice, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS-université de Toulouse/Cnes). L’astrophxeysicien a conçu « l’oeil » de Perseverance, le rover américain, dont l’atterrissage est prévu le 18 février dans le cadre de la mission Mars 2020. La Nasa n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il s’agit du cinquième engin roulant à fouler le sol martien en près d’un quart de siècle. Le mot d’ordre made in USA est step by step (« pas à pas »). Ces astromobiles ont d’abord cherché des traces d’eau, puis elles ont voulu prouver l’habitabilité de Mars (Curiosity, toujours en activité). Perseverance, lui, s’attachera à trouver des traces de vie. Après une descente qualifiée de « sept minutes de terreur », il doit freiner pour passer de 19 500 à 1 500 kilomètres-heure – avant de déployer un parachute de 21,5 mètres de diamètre. Il se posera ensuite au milieu du cratère Jezero, à l’ouest du bassin d’Isidis Planitia, et connu pour renfermer de grandes quantités d’argiles, de carbonates et des minéraux. « Il présente aussi l’intérêt de combiner des couches anciennes et récentes qui devraient nous offrir une grande variété de sédiments », révèle François Forget. C’est donc l’oeil français du rover américain, baptisé SuperCam – composé de caméras, d’un laser et de spectromètres –, qui ciblera, analysera et choisira les futurs échantillons. Perseverance, à l’aide de son bras, forera la roche, extraira des carottes d’une quinzaine de grammes, avant de les placer dans son ventre. Il faudra attendre 2026, voire 2028 avant qu’un nouveau vaisseau conçu cette fois-ci avec l’Agence spatiale européenne aille récupérer la précieuse cargaison et la rapporte sur Terre. Sans doute pas avant 2031 ! ✸