2021, l’année de la Chine
Pour le centenaire du Parti communiste chinois, en juillet prochain, le régime voudra démontrer que, grâce à lui, le pays a définitivement tourné la page du virus.
Lorsque l’année du Rat a démarré, le 25 janvier 2020, l’empire du Milieu était paralysé par un mystérieux virus que le reste du monde commençait à découvrir. La ville de Wuhan, premier foyer connu de la pandémie, s’apprêtait à décider un confinement extrême. Un an plus tard, le petit rongeur – associé aux épidémies – a fait place à un animal plus robuste dans l’astrologie chinoise, le Buffle, comme pour illustrer la confiance retrouvée du pays. « Après avoir franchi rapides et bas-fonds dangereux, affronté tempêtes et tourbillons, notre Parti, désormais devenu un paquebot, conduit la Chine dans un développement régulier et durable », s’est enflammé le président Xi Jinping lors de ses voeux du 31 décembre. Après avoir réprimandé des lanceurs d’alerte, les autorités ont quasiment réussi à maîtriser le virus grâce à des mesures drastiques. Bilan officiel : 4 829 morts. Un chiffre qui, même s’il était dix fois sous-estimé, ferait pâlir d’envie les Etats-Unis (près de 500 000 victimes). Certes, les frontières restent fermées, et le géant asiatique multiplie les contrôles sanitaires depuis l’apparition de nouveaux cas dans le nord. Mais, un peu partout, la vie a repris un cours presque normal. Xi Jinping l’a martelé : la Chine a été la seule grande économie en croissance en 2020, de 2,3 %, selon les statistiques officielles, quand le produit intérieur brut a plongé de 3,4 % outre-Atlantique et de 6,8 % en Europe. Le FMI prévoit un rebond de plus de 8 % cette année. A ce rythme, le pays le plus peuplé du monde pourrait ravir la couronne de leader économique mondial aux Etats-Unis dès 2028, calcule le Centre for Economics and Business Research, à Londres. Plus encore que l’an passé, la propagande chinoise va vouloir démontrer en 2021, année très symbolique du centenaire du Parti communiste, que le pays a tourné la page du Covid-19 (même si la réalité est plus nuancée). Les célébrations, qui culmineront le 1er juillet, s’apparenteront à un show composé de défilés à la gloire du régime et de son chef, d’expositions, ainsi que d’une centaine de films de fiction, séries télévisées, documentaires et dessins animés. Tous raconteront la transformation en quelques décennies d’un Etat pauvre en une superpuissance économique, technologique et militaire capable de rivaliser avec l’Amérique. Galvanisée par ses succès, « la diplomatie chinoise va continuer à donner des leçons aux pays occidentaux, en particulier ceux qui contestent sa politique ou refusent ses technologies », prédit Alice Ekman, chercheuse à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne. Pékin a dégainé des sanctions commerciales contre l’Australie, qui avait demandé une enquête indépendante sur l’origine du Covid-19 et exclu le mastodonte des télécoms Huawei du déploiement de la 5G. Pas question, pour éviter l’ire du Parti, de dénoncer son autoritarisme croissant – la répression à Hongkong ou les persécutions à l’encontre des Ouïgours dans le Xinjiang. Parallèlement, le régime chinois, via sa « diplomatie du vaccin » et la construction de gigantesques infrastructures (les nouvelles routes de la soie), avance ses pions dans les pays émergents et en Europe de l’Est. « Sa méthode consiste à instaurer une dépendance économique et financière pour le plus grand nombre de pays possible », résume Jean-Pierre Cabestan, sinologue à l’université baptiste de Hongkong. La puissance raflera-t-elle à nouveau la mise en 2021 ? L’incertitude reste importante, notamment face à la dette des entreprises publiques. Fin 2020, l’endettement total de la Chine a ainsi atteint 280 % du PIB. « C’est l’un des grands sujets de préoccupation de Xi Jinping, décrypte Sophie Wieviorka, spécialiste de la zone au Crédit agricole. C’est à cette aune qu’il faut comprendre le coup de semonce adressé à Jack Ma, fondateur d’Alibaba, récemment accusé de pousser les ménages au surendettement avec sa filiale financière Ant Financial. » Depuis longtemps, Pékin cherche à moins dépendre des exportations. Mais les acheteurs chinois ont beau flâner dans les centres commerciaux rutilants depuis la fin du confinement, la consommation n’est toujours pas le moteur du pays. Et les
résultats exceptionnels engrangés par les géants du luxe comme LVMH ou Tesla ne doivent pas faire illusion. « Xi Jinping n’a pas réussi à rendre son modèle économique plus résilient », pointe Jean-François Di Meglio, président de l’institut Asia Centre. En cause, « une hausse trop faible du revenu des ménages », estime Alicia Garcia Herrero, chef économiste Asie-Pacifique de Natixis, qui, elle, s’attend à une croissance limitée à environ 6 % cette année. Dans la séquence récente, c’est bien sa traditionnelle capacité à être « l’usine du monde » qui a sauvé l’économie chinoise. Alors que la planète traverse sa plus grave récession depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais l’empire du Milieu n’a autant exporté. « Un rebond très opportuniste, largement lié à un effet Covid », nuance Julien Marcilly, économiste en chef de Coface. Pékin a livré à l’étranger 220 milliards de masques chirurgicaux, 2,3 milliards de combinaisons de protection et 1 milliard de kits de test. De même, les confinements et le télétravail ont fait s’envoler les achats de téléviseurs, ordinateurs, consoles, tablettes et téléphones portables, dopant l’activité des sous-traitants en Chine. Une partie du sort du pays dépend à présent de Joe Biden. Le président américain va-t-il maintenir les taxes imposées par Donald Trump sur les produits chinois ? Face aux mesures défensives de l’Occident, le régime cherche à développer ses propres technologies. Y parviendra-t-il ? Il progresse très vite, notamment dans l’intelligence artificielle, « mais son manque de maîtrise des solutions les plus avancées dans l’industrie des semi-conducteurs constitue sa grande vulnérabilité », soulligne Mathieu Duchâtel, directeur du programme « Asie » à l’Institut Montaigne. Cette quête d’autonomie pourrait aussi être freinée par la mise au pas brutale de grandes entreprises du secteur privé comme Alibaba. « Ces tensions ont infusé la peur dans le monde des affaires, ce qui risque de dissuader des entrepreneurs innovants d’investir dans les nouvelles technologies », explique Tong Zhao, chercheur au Centre Carnegie-Tsinghua, à Pékin. Il ne faut toutefois pas sous-estimer la capacité d’innovation du régime, comme l’a prouvé le récent retour sur terre d’une sonde chinoise chargée de roches lunaires. Le match avec le reste du monde pourrait se jouer sur la campagne de vaccination. Problème, le produit de Sinovac n’est efficace qu’à 50,4 %, selon une étude brésilienne. « Si la Chine ne peut pas rouvrir ses frontières aussi vite que l’Ouest, doté de vaccins plus performants, ses perspectives économiques seront revues à la baisse », prévient Tong Zhao. Le dragon chinois semble malgré tout bien parti pour, cette année encore, impressionner ses rivaux. D’autant que Xi Jinping rêve d’un triomphe dans un an, lors du lancement des JO d’hiver de Pékin. Le monde n’a pas fini d’entendre parler des exploits du pays.