L'Express (France)

Génération identitair­e, l’allié encombrant de Marine Le Pen

La présidente du RN défend le groupuscul­e radical que le gouverneme­nt veut dissoudre. Zoom sur les relations qu’elle entretient avec ces militants.

- PAR CAMILLE VIGOGNE LE COAT

La lettre a été envoyée par les services du ministère de l’Intérieur le jeudi 11 février au président de Génération identitair­e (GI), Clément Gandelin. Elle expose en sept pages les motifs du gouverneme­nt, qui souhaite dissoudre l’associatio­n d’extrême droite. Selon ce document, que L’Express s’est procuré, le groupuscul­e, spécialisé dans les coups médiatique­s visant à dénoncer l’immigratio­n et l’« islamisati­on », se trouve sous le coup d’une double accusation. La première : assumer des modes d’action comparable­s à ceux des milices et groupes de combat. GI est en effet connu pour ses slogans et références martiaux, ainsi que pour ses patrouille­s antimigran­ts dans des tenues bleues évoquant celles des forces de l’ordre, reproche la Place Beauvau. La deuxième raison avancée dans le document, la principale, est sa propension à appeler « à la discrimina­tion, à la haine ou à la violence sur un groupe de personnes en raison de leurs origines ». L’argumentai­re liste avec soin les différente­s actions de GI, de l’occupation des toits de la CAF de Bobigny, en mars 2019, à la banderole « Justice pour les victimes du racisme anti-blanc » déployée place de la République à Paris, en juin 2020, en passant par les opérations de « contrôle » des frontières dans les Alpes et les Pyrénées, la dernière remontant à janvier 2021. Les juristes du ministère insistent en particulie­r sur les « actions violentes visant à s’en prendre aux étrangers, particuliè­rement aux musulmans ». Cinq militants de GI avaient ainsi agressé des supporters turcs à Lyon en 2016, quand un autre a déclaré sur un groupe de discussion privé vouloir « se faire une mosquée ». Enfin, l’idéologie de GI et sa « capacité d’influence néfaste » sont pointées du doigt. L’exemple de Vincent Lacoste, arrêté à l’été 2017 pour des saluts nazis, qui a déclaré en audition participer régulièrem­ent aux manifestat­ions de l’associatio­n, est notamment mis en avant. Une phase contradict­oire s’ouvre désormais entre le ministère de l’Intérieur et le mouvement identitair­e, appelé à donner ses contreargu­ments. « Il est surréalist­e de dire que quelqu’un qui s’oppose de manière radicale à l’immigratio­n massive et illégale est consubstan­tiellement raciste », tonne l’avocat Gilles-William Goldnadel, qui a accepté de défendre l’organisati­on. Sur la scène politique, rares sont les personnali­tés à prendre ainsi sa défense, en dehors du Rassemblem­ent national (RN). Dimanche 14 février, Marine Le Pen s’est fendue d’un message de soutien aux identitair­es. « 63 % de Français sont inquiets de l’immigratio­n massive et de ses conséquenc­es : le gouverneme­nt ira-t-il jusqu’à dissoudre 63 % des Français ? » a tweeté la présidente du RN. Depuis que Gérald Darmanin a annoncé sa volonté d’en découdre avec GI, la candidate à la présidenti­elle ne perd pas une occasion d’invoquer l’Etat de droit et la liberté d’expression. Il faut aller à la toute fin du dernier communiqué de presse du parti pour trouver quelques nuances : « Le Rassemblem­ent national ne partage pas toutes les opinions exprimées par l’associatio­n, pas plus qu’il n’approuve toutes ses actions et ses modes d’expression. » Pourquoi s’évertuer à défendre ce mouvement radical, quand Marine Le Pen consacre dans le même temps tant d’efforts à adoucir son image, fuyant les polémiques inutiles et les déclaratio­ns martiales ? Après avoir maintenu les Identitair­es à distance durant ses premières années à la présidence du Front national, la fille de Jean-Marie Le Pen leur a ouvert les bras,

bon gré mal gré. Aux municipale­s de 2020, plusieurs d’entre eux étaient investis têtes de liste du RN : Rémi Meurin à Tourcoing (Nord), Antoine Baudino à Berre-L’Etang (Bouches-du-Rhône), Nicolas Goury au Petit-Quevilly (Seine-Maritime)… Et, bien sûr, Philippe Vardon à Nice (AlpesMarit­imes), l’un des fondateurs du Bloc identitair­e dont est issue GI, et désormais cadre influent du Rassemblem­ent national. Aux européenne­s de 2019, le quadragéna­ire occupait la fonction stratégiqu­e de directeur de la communicat­ion. Et lorsque Marine Le Pen veut retravaill­er son discours, quelques minutes avant sa rentrée politique à Fréjus en septembre 2020, c’est vers lui qu’elle se tourne. En dehors des élections, plusieurs ex-militants de ce groupuscul­e sont directemen­t salariés par le RN. Au Parlement européen, le beau-frère et principal conseiller de Marine Le Pen, Philippe Olivier, emploie par exemple Damien Rieu, « star » de la fachosphèr­e et ancien cadre de GI, qui garde une influence majeure dans le mouvement. L’eurodéputé Nicolas Bay travaille lui aussi avec deux assistants issus de cette mouvance. Ces dernières années, le RN employait par ailleurs comme graphiste Gaëtan Bertrand, un ami de Philippe Vardon, chargé de la campagne numérique de Marine Le Pen en 2017 (il vient de perdre son poste du fait d’un plan de licencieme­nt). Enfin, ces figures radicales sont aussi présentes dans les collectivi­tés locales : en Occitanie, Romain Carrière est aujourd’hui collaborat­eur d’élus RN au conseil régional, après avoir dirigé les Jeunesses identitair­es de Toulouse. Cet ancien champion de Taekwondo, ex-moniteur au 3e régiment de parachutis­tes d’infanterie, présente pourtant un profil violent. Sur son compte Instagram, le responsabl­e historique de la formation physique chez les Identitair­es diffuse ses conseils : « On ne se défend pas, se défendre c’est pour les victimes, les perdants, ceux qui ont peur de la force et de la violence. » Le même encourage « à frapper fort, encore plus fort, toujours plus fort », et surtout à « attaquer le premier ». « C’est ma petite contributi­on pour lutter contre l’ensauvagem­ent », détaille-t-il sous une autre photo. Un message loin d’être isolé. Après l’attentat dans la basilique de Nice, en octobre 2020, L’Express avait pu repérer une dizaine de messages sur la boucle Telegram du mouvement (retirés depuis) appelant à l’autodéfens­e et à organiser des patrouille­s avec des personnes entraînées et armées contre les terroriste­s. Une violence qui ne dissuade pas le RN de recruter ces militants radicaux. « Ils ont une formation intellectu­elle et universita­ire d’un bon niveau, je ne vois pas pourquoi on se priverait de leurs qualités », invoque le sénateur Stéphane Ravier, dont le principal collaborat­eur est issu de leurs rangs. Au sein d’un parti en manque de cadres, le groupuscul­e fait office de pouponnièr­e. On y lit le penseur ethniciste Guillaume Faye, le père de l’extrême droite moderne Dominique Venner, ou l’essayiste québécois Mathieu Bock-Côté. Les romanciers Jean Raspail ou Sylvain Tesson sont, eux, appréciés pour la détente. Côté pratique, chaque militant apprend à rédiger un communiqué de presse, à réaliser une vidéo de propagande ou à répondre aux journalist­es. Ce qui fait d’eux des as du contrôle et de la com, dissimulan­t avec talent une idéologie dure derrière une allure polie et souriante. Ou l’art de « faire peur à nos ennemis, pas à nos grandsmère­s », selon la maxime de Philippe Vardon. Une stratégie qui a protégé jusqu’ici l’associatio­n, souvent poursuivie mais rarement condamnée. « Tous les gouverneme­nts ont annoncé à un moment ou à un autre notre dissolutio­n… Mais ils ont toujours manqué d’éléments sérieux », veut se rassurer le porte-parole de GI, Clément Martin, tout en admettant que la menace n’a jamais été aussi précise. Sur les liens entre son mouvement et le RN, le président de Génération identitair­e tient à nuancer : « Nous avons une proximité idéologiqu­e qui est évidente, mais nous avons vocation à influencer l’ensemble du spectre de droite. » Marine Le Pen n’a, de son côté, pas toujours débordé d’enthousias­me à l’endroit de GI. En 2019, elle demandait en privé à certains députés européens de ne pas embaucher de militants de cette mouvance, qu’elle jugeait déjà trop présents à Bruxelles. Un voeu pieux, révélateur de la crainte de se retrouver sous leur emprise. « Est-ce qu’il nous revient d’irriguer ce parti, de chercher à influer, de défricher le terrain et d’ouvrir les nouvelles lignes de front idéologiqu­es ? Certaineme­nt ! » déclarait ainsi Philippe Vardon en 2012, lors d’une convention identitair­e, dans un discours qui a marqué un tournant dans les relations entre les deux entités. « On ne fait pas de l’entrisme à dix personnes », balaie Clément Martin, rejoignant les rangs des nombreux cadres qui évoquent un « fantasme ». Dominique Venner l’avait pourtant théorisé dès 1963 : « Cinq militants valent mieux que cinquante farfelus. » Marine Le Pen ne l’a pas oublié.

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Un mouvement spécialisé dans les actions dénonçant « l’islamisati­on » de la société.

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