Castaner : Godefroy de Bouillon au Palais-Bourbon
Président du groupe LREM à l’Assemblée nationale depuis six mois, l’ancien ministre de l’Intérieur, fidèle du chef de l’Etat, a réussi sa reconversion.
Chemise blanche impeccablement repassée, cravate nouée jusqu’à la glotte, il jette des coups d’oeil répétés à l’écran plat qui retransmet en direct les discussions dans l’Hémicycle sur le projet de loi « confortant les principes républicains ». Pour Christophe Castaner, la journée est quelque peu mouvementée. L’article 21, consacré à la question de l’instruction en famille, secoue une majorité divisée, qui secoue à son tour Jean-Michel Blanquer. Le matin même, sentant les tensions surgir, « Casta » a sifflé la fin de la récré et envoyé illico ses troupes se réunir salle Colbert pour arrondir les angles avec le ministre de l’Education nationale. Etonnamment, le groupe LREM, que l’on sait morcelé et turbulent dès qu’il entend les mots « laïcité » et « communautarisme », est resté sage durant les deux semaines d’examen du texte. Celui-ci faisait figure de test pour son président, élu de justesse – avec 25 voix d’avance – en septembre dernier face à Aurore Bergé. « Je me suis gratté la tête, j’ai beaucoup hésité avant d’y aller, j’avais normalement toutes les chances de perdre. Les autres m’attendaient, sans méchanceté, d’accord, mais sans bienveillance non plus », plaisante-t-il. « Candidat officiel du Château »,
disaient – à raison – ses détracteurs, chercheur frustré d’une porte de sortie dorée après son éviction de Beauvau, grinçaient d’autres, il a encore une fois réussi à retomber sur ses pieds. « Ce type, on lui fait sans cesse des procès en illégitimité, on se demande toujours s’il est fait pour le rôle, regrette le député du Rhône Bruno Bonnell. Et pourtant, le costard lui va très bien, c’est indéniable qu’il est aujourd’hui le patron, là-dessus il n’est remis en question par personne. » On se dit alors qu’il est temps de faire un premier bilan, malgré la moue d’un Castaner pas emballé par l’exercice. Quelle est donc sa recette pour tenir cet assemblage d’autoentrepreneurs de la politique ? N’est-ce pas tout bêtement une histoire de contexte, comme le rappellent plusieurs députés ? « L’esprit général n’est pas le même, tout le monde a intégré qu’il ne reste qu’un an, beaucoup s’occupent de leur “circo” [circonscription] », croit savoir un député influent. « Certains se disent aussi que Christophe fera le tri entre ceux qu’on réinvestira et ceux qu’on ne réinvestira pas », souffle l’une de ses adjointes. A la différence de son prédécesseur Gilles Le Gendre, manager malmené, davantage DRH que leader, Christophe Castaner a su jouer de son expérience parlementaire et ministérielle. L’homme à la grande carcasse est un politicien pur jus, habitué aux rapports de force et à anticiper les ennuis qui volent en escadrille, qu’ils viennent de l’intérieur ou de l’opposition. Ils sont nombreux sur ses bancs à le trouver « sécurisant ». « Désormais, le groupe refait de la politique. Et, au fond, la confrontation entre le gouvernement et le groupe va dans le bon sens : Christophe met sur la table ce qu’il veut, pose sa ligne, et une fois qu’on a un deal avec lui, il le tient », analyse un ministre. « Objectivement, l’atterrissage est réussi, résume Patrick Mignola, président du groupe Mouvement démocrate. On pouvait le penser superficiel sur les textes, en réalité, il y décèle ce qu’il faut valoriser ou neutraliser. Les états généraux de l’alimentation avaient été pourris par le glyphosate ; Casta, lui, repère les glyphosates ! » Bien sûr, conscient que le leadership ne se partage pas, l’ex-ministre a tout fait pour être seul aux manettes. Lui et son équipe centralisent tout. Tout transite par lui. Malin, il a nommé comme présidentes déléguées deux anciennes adversaires, Aurore Bergé et Coralie Dubost, qui ne s’adressent pas un mot, a effectué quelques nominations à gauche et à droite pour mieux neutraliser les voix discordantes. « J’écoute tous ceux qui veulent me voir, mais être un leader, ça veut dire savoir trancher, ça veut dire aussi être craint, assume-t-il sans détour. C’est ça avoir de l’autorité. J’ai besoin de tout savoir, tout voir, pour tout comprendre. Après, quand je suis en confiance, il n’y a pas de problème, mais je sais bien que s’il y a une merde, ça sera de ma faute. » Forcément, la méthode engendre quelques déçus, frustrés de n’avoir pas eu gain de cause sur certains débats ou désireux de voir les parlementaires s’opposer plus frontalement au gouvernement : « Je connais sa façon de faire, il fonctionne avec des gens qui peuvent le défendre et le protéger, peste un député du sud de la France. Casta, c’est Gaudin : je prends tout le monde, j’achète la paix sociale, mais, à la fin, rien ne bouge. » L’élu des Alpes-de-Haute-Provence tire aussi sa légitimité de sa proximité avec Emmanuel Macron, que beaucoup jalousent. Il n’hésite pas à contacter le président lorsque les arbitrages se font attendre, comme ce fut le cas dernièrement à propos de la lutte contre les atteintes sexuelles sur mineur. « On me reprochait pendant la campagne d’être trop proche d’Emmanuel Macron, on voyait ça comme un handicap, mais c’est une force, je suis capable de faire peser le groupe », expliquet-il, même s’il est convaincu que « le bras de fer n’arrange personne ». Ce qui ne l’empêche pas de montrer ses biceps à certains ministres, voire à Matignon. Fin novembre, pendant que les oppositions s’arc-boutent et que les manifestations s’amplifient contre l’article 24 de la loi de sécurité globale, Castaner apprend que Matignon souhaite créer une commission spéciale pour récrire le texte. « Un truc totalement con », pense-t-il sur le moment. Il dégaine son téléphone dans l’instant pour écrire un texto laconique à Jean Castex : « Rendezvous compte de l’énormité de ce truc ! Ça va rendre dingue Larcher, ça va rendre dingue Ferrand, ça va rendre dingue le groupe… et donc ça va me rendre dingue aussi ! » Une fois sa nouvelle mission terminée, en juin 2022, qui sait quel costume l’indispensable transformiste de la Macronie enfilera si Emmanuel Macron est réélu ! Une chose est certaine, il l’acceptera sans rechigner. « Casta, c’est le Godefroy de Bouillon de La République en marche : quoi qu’il arrive, il ira jusqu’au bout pour la cause », plaisante un parlementaire LREM qui le connaît bien, en référence à l’exemplaire croisé du xie siècle. Entre la gestion apaisée de ce groupe hétéroclite et la prise de Jérusalem, on se demande bien quel est le plus grand exploit…
« Etre un leader, ça veut dire savoir trancher. Ça veut dire aussi être craint »