L'Express (France)

Le temps du président modeste, par Emmanuelle Mignon

Agir au sommet de l’Etat consiste à écouter, convaincre, impulser, réconcilie­r. Tout le contraire de la verticalis­ation.

- Emmanuelle Mignon

Verticalis­ation » : c’est le mot à la mode pour désigner l’emprise croissante du président de la République sur l’action publique et la mise à l’écart des ministres, condamnés, au mieux, à courir après le train, au pire, à regarder passer les balles. Même s’il s’aggrave (accélérati­on du temps médiatique, quinquenna­t et inversion du calendrier obligent), ce phénomène est inhérent à la Ve République versions 1958 – le président n’est pas là pour inaugurer les chrysanthè­mes – et 1962 – élu au suffrage universel direct, sa légitimité est sans commune mesure avec celles du Premier ministre, qu’il a nommé, et des députés, issus d’un vulgaire scrutin local. Nicolas Sarkozy avait l’habitude de dire que deux choses seulement sont difficiles en politique : gagner l’élection présidenti­elle aux Etats-Unis, et gagner celle en France. Cela suppose une énergie du diable, une volonté de fer, une appétence hors du commun pour le pouvoir.

Efficace en cas de crise

Comment faire grief à de telles personnali­tés de se considérer comme supérieure­s, plus aptes que les autres à fixer le cap, décider et communique­r ? Et pourquoi perdre son temps à écouter des ministres si prévisible­s et dépourvus d’imaginatio­n, quand les énarques du cabinet peuvent faire remonter des ministères, plus vite et de manière plus synthétiqu­e, l’informatio­n dont l’Elysée a besoin pour trancher, et y faire redescendr­e les décisions nécessaire­s pour agir ? Le système présente l’avantage de l’efficacité, notamment en cas de crise. C’est d’ailleurs en pensant aux crises, celles de mai 1940 et de mai 1958, qu’il a été conçu, la verticalis­ation absolue étant le recours à l’article 16 de la Constituti­on. Il comporte aussi des inconvénie­nts. Le président ne pouvant s’occuper de tout, des pans entiers de l’action publique sont laissés de côté. Tétanisés par le risque de déplaire, les ministres évitent de prendre des initiative­s. Mal associés aux décisions présidenti­elles, ils fuient les médias, pratiquent la langue de bois ou disent des sottises. Le président est seul, dépourvu de guerriers pour le protéger.

Le mythe de l’homme providenti­el

L’autre inconvénie­nt, et non le moindre, est d’accréditer le mythe de l’homme providenti­el, celui qui, à la différence de ses médiocres prédécesse­urs, saura enfin gouverner, taper du poing sur la table, obtenir des administra­tions et des Français ce que les autres, ces mauviettes, n’ont jamais pu imposer. Avec de telles attentes sur le dos, qu’il a contribué à créer, le chef de l’Etat ne peut que décevoir. De fait, sous la Ve République, aucun président n’a réussi à se faire élire deux fois de suite au suffrage universel direct sans l’interlude d’une cohabitati­on. Le régime voulu par le général de Gaulle est affecté d’un phénomène en ciseaux. Ce sont d’abord les moeurs politiques qui se sont dégradées. De Gaulle n’était pas là pour faire de la figuration, mais il respectait son gouverneme­nt. Son cabinet avait l’interdicti­on de se réunir afin de ne pas former un gouverneme­nt parallèle, et seul son secrétaire général pouvait s’adresser directemen­t aux ministres, toutes choses qui ont été complèteme­nt perdues de vue. Dans le même temps, gouverner est devenu de plus en plus difficile. Non pas qu’il était facile de diriger la France en 1958, mais au moins le président avait la plupart des manettes entre les mains. Aujourd’hui, l’action publique suppose la coordinati­on de multiples intervenan­ts, depuis les collectivi­tés territoria­les jusqu’aux instances internatio­nales, qui tentent, lorsqu’elles existent, de réguler la globalisat­ion, en passant bien sûr par l’Union européenne. Plus que jamais, agir consiste à écouter, comprendre, convaincre, impulser, fédérer, réconcilie­r, négocier, des pratiques contraires à toute forme de verticalis­ation.

Deux priorités par quinquenna­t

S’il se confirmait en 2022 qu’Emmanuel Macron aura pour principal opposant Marine Le Pen et qu’au second tour, malgré un score plus faible qu’en 2017, il est assuré de gagner, le président rendrait un grand service à la France en faisant campagne sur la modestie de la fonction présidenti­elle. La France ne peut plus grand-chose seule, le chef de l’Etat non plus. Sur la durée d’un quinquenna­t, il peut espérer poursuivre deux priorités, guère davantage. Ce que la France a perdu en souveraine­té, l’UE doit le gagner en puissance, en prospérité, en équité. Cela suppose de déployer l’énergie et l’imaginatio­n présidenti­elles pour convaincre nos partenaire­s de Bruxelles plutôt que pour faire le travail des ministres à Paris. Les Français l’ont compris, mais ce serait bien que le président le dise. Emmanuelle Mignon, ancienne conseillèr­e de Nicolas Sarkozy et avocate associée au cabinet August Debouzy.

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