L'Express (France)

Inde La pandémie recule, l’optimisme revient

L’immunité collective, l’accoutuman­ce aux virus et la vaccinatio­n pourraient expliquer la baisse du nombre des contaminat­ions depuis septembre.

- PAR RESHMA MATHIAS (BOMBAY)

Dans l’un des marchés les plus anciens et les plus animés de Lucknow, capitale de l’Uttar Pradesh, Etat du nord de l’Inde, la foule est revenue. « Les gens n’ont plus peur du coronaviru­s », se réjouit Vinay Nadeem. Voilà plusieurs semaines que ce négociant en tissus installé au coeur de l’Aminabad Market a abandonné le port du masque. Les personnes qui se bousculent autour de lui ne se protègent pas non plus le visage, et les bouteilles de gel hydroalcoo­lique ont disparu des échoppes. Dans une gargote poussiéreu­se, Faizad Khan fait griller ses kebabs au soleil. Lui aussi a renoué avec « la vie d’avant ». « Mes clients reviennent, le business est excellent », explique-t-il en criant pour couvrir les concerts de klaxons des rickshaws. La crise sanitaire prend décidément des formes inattendue­s en Inde. Après un démarrage très lent, l’épidémie a culminé plus tard que dans d’autres parties du monde : ainsi, à la mi-septembre, près de 100 000 cas étaient détectés chaque jour, pour une population de 1,35 milliard d’habitants. Depuis, la courbe s’est inversée. Aujourd’hui, les tests positifs sont dix fois moins nombreux : autour de 10 000 par jour. Le pays, qui déplore plus de 155 000 morts, en recense désormais moins d’une centaine par jour. Dans ce contexte, la presse déborde d’espoir. « Coronaviru­s : le pire est-il derrière nous ? », s’interrogea­it le Times of India, le 28 décembre. « Ces dernières semaines, l’Inde a eu la chance de voir le nombre de contaminat­ions diminuer de façon continue, et le taux de mortalité devenir très faible. Toutefois, il est peutêtre prématuré de conclure à la fin de l’épidémie », tempère le physicien Anant Bhan, ancien président de l’Associatio­n internatio­nale de bioéthique. De son côté, le gouverneme­nt Modi parie cette année sur une croissance économique supérieure à 10 %. Comme s’il faisait fi du risque d’une nouvelle envolée pandémique. Parmi les facteurs qui incitent à l’optimisme, la population est jeune (2 Indiens sur 3 ont moins de 35 ans) et son immunité serait naturellem­ent forte, compte tenu des multiples virus qu’elle côtoie d’ordinaire. « L’Inde connaît probableme­nt une combinaiso­n d’immunités due au très grand nombre de personnes infectées, aux changement­s de comporteme­nts (les gens restent chez eux quand ils ne se sentent pas bien) et à la montée en puissance de la vaccinatio­n », explique Stefan Baral, professeur en épidémiolo­gie à l’université Johns Hopkins de Baltimore. Grâce à son énorme capacité de production locale du médicament d’AstraZenec­a, le géant d’Asie du Sud vaccine à tour de bras depuis la mi-janvier, soit 300 000 personnes par jour environ. En pourcentag­e de la population, le nombre d’Indiens ayant reçu une première injection (0,4 %) reste néanmoins peu significat­if, comparé à Israël (60 %), au RoyaumeUni (18 %) ou à la France (3 %). La présence d’anticorps est, en revanche, impression­nante. Selon une enquête sérologiqu­e nationale réalisée par le Conseil indien de la recherche médicale entre le 7 décembre et le 8 janvier, 280 millions d’individus auraient été en contact avec le coronaviru­s dans le pays. Bien plus que ce que les 10,9 millions de tests positifs ne le laissaient supposer jusqu’ici. A New Delhi, plus de la moitié des habitants auraient développé des anticorps. A Bombay, la proportion dépasserai­t 60 % par endroits. Après bientôt un an de fermeture, les écoles rouvrent peu à peu dans ces mégapoles, de même que les restaurant­s, les piscines et les cinémas. Dans les hôpitaux, les lits réservés aux malades du Covid-19 sont presque tous vides. « Il se pourrait que des facteurs encore inconnus fassent que certains Indiens se montrent résistants », avance Prabhat Jha, économiste de la santé à l’université de Toronto. Les nouveaux variants du coronaviru­s compliquer­ont-ils la donne dans les prochaines semaines ? Une résurgence de cas n’est pas à exclure, comme à Manaus, au Brésil. Face à cette menace, « le problème demeure entier », tranche Chandanath­il Pappachan Geevan, chercheur au Centre d’études socio-économique­s de Cochin. Mais certains experts sont plus optimistes. « Contrairem­ent à beaucoup de mes collègues, je ne pense pas que les variants vont modifier radicaleme­nt la trajectoir­e de l’épidémie », estime Stefan Baral. Une manière de dire que l’exception indienne pourrait bien perdurer.

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