Divas du monde arabe, d’Oum Kalthoum à Dalida
Portées par d’intrépides pionnières féministes, des stars de la musique et du cinéma ont bâti leur légende, de 1920 aux années 1970. En Egypte, au Liban ou au Maghreb, leur ascension accompagne les idéaux du panarabisme.
Au printemps 1923, Hoda Chaaraoui et Ceza Nabaraoui, cofondatrices de l’Union féministe égyptienne, retirent publiquement leur voile. Et, à compter de ce geste historique, apparaissent tête découverte. Ces militantes de la première heure figurent en ouverture de l’exposition consacrée par l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris, aux Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida. Avant elles, d’autres pionnières, vedettes de la scène – aujourd’hui quasi oubliées –, osent déjà s’imposer dans un univers ultramasculin : Mounira al-Mahdiyya, étoile montante du café chantant et de l’opérette, est la première actrice musulmane à monter sur les planches à l’orée des années 1920, tandis que Badia Massabni, danseuse orientale, dirige d’une main de fer le célèbre cabaret Casino Badia, au Caire. Leurs héritières s’appellent Oum Kalthoum, surnommée « l’astre de l’Orient », proche de Nasser et la « plus remarquable artiste vocale du monde arabe au xxe siècle » ; Warda al-Jazairia, de père algérien ; Asmahan, d’origine syro-libanaise ; et Fayrouz, Beyrouthine envers et contre tout, la seule de ces quatre voix d’or à être encore en vie. Elles deviennent des figures phares d’un monde alors en pleine mutation culturelle, technologique et médiatique. Issues de confessions différentes, elles remportent l’adhésion populaire en incarnant la quête d’unité du panarabisme. Photographies, interviews, tenues de scène (somptueuses), objets personnels, extraits de concerts mythiques ou de tournages, l’IMA nous livre leur intimité. Hanna Boghanim et Elodie Bouffard, les commissaires-enquêtrices de l’exposition, ont collecté en Egypte, au Liban et au Maghreb une avalanche de documents inédits, présentés ici dans des niches aux allures de loges de spectacle. Le Nilwood – raccourci de Hollywood sur le Nil – bat alors son plein. De la fin des années 1930 au début de la décennie 1970, c’est l’âge d’or du cinéma égyptien. Assia Dagher, émigrée libanaise au Caire, joue ainsi dans 20 films et en produit près de 50. Sa nièce, Mary Queeny, est la première comédienne arabe à apparaître non voilée sur la pellicule. Et puis, il y a Laila Mourad, Souad Hosni et Faten Hamama, qui triomphent sur le grand écran. La dernière s’éprend de Michel Chalhoub – bientôt Omar Sharif – sur le tournage du Ciel d’Enfer, réalisé par Youssef Chahine en 1954. Ils forment alors l’un des couples les plus emblématiques du 7e art moyen-oriental. Youssef Chahine est justement celui qui, bien plus tard, accomplira le rêve cinématographique international de Dalida : elle a 53 ans – et il lui reste un an à vivre – à la sortie du Sixième Jour, en 1986. Le cinéma, elle y avait déjà goûté. C’était au Caire, où elle naît Iolanda Gigliotti, avant d’être élue Miss Egypte en 1954. L’année suivante, auréolée de son titre, elle incarne une vamp dans le film Un verre, une cigarette, puis une séductrice à l’affiche du Masque de Toutankhamon. On connaît la suite. Installée à Paris, ignorée par les producteurs français, Yolande se mue en chanteuse, rebaptisée Dalida, et devient une star sous nos latitudes. L’IMA se concentre sur ses débuts sur les rives du Nil et sur les productions futures qui s’y rattachent, tel Salma Ya Salama, un morceau de 1919, évoquant la nostalgie des Egyptiens exilés, revisité par l’interprète charismatique en 1977. Un énorme succès en France et au Moyen-Orient. Les artistes du IIIe millénaire s’emparent de ces mythes féminins, à l’instar de Youssef Nabil, qui expose une installation à mi-chemin entre la photographie, la danse contemporaine et l’âme orientale. En attendant la réouverture des lieux culturels, on peut visionner en ligne, sur les réseaux sociaux du musée, des vidéos de « mise en bouche », qui zooment sur ces divas, invitant, au-delà de leur indéniable talent, à appréhender le contexte sociétal dans lequel s’inscrivent leurs performances intemporelles.