L'Express (France)

Avec la NBA, Decathlon franchit un nouveau palier à l’internatio­nal

En signant, à la surprise générale, un partenaria­t avec la puissante ligue de basket américaine, l’enseigne française compte asseoir sa suprématie mondiale sur le marché des articles de sport.

- SÉBASTIEN POMMIER

Mais comment une petite équipe de 30 personnes a-t-elle pu conclure un tel accord avec la NBA, la puissante ligue de basket-ball nord-américaine ? Depuis son bureau de Tourcoing (Nord), logé au Kipstadium, le centre de création des produits sports collectifs de Decathlon, la bande de Tarmak (la marque basketball de l’enseigne) s’est offert le Graal : la conception et la distributi­on mondiale (hors Etats-Unis et Canada) d’articles siglés aux couleurs des célèbres franchises américaine­s. Et ce, d’après nos informatio­ns, pour une durée d’au moins quatre ans. Ce qui portera le contrat au-delà des Jeux olympiques de Paris 2024… Ou comment surfer sur la présence de « Team USA » et ses « mégastars » sans avoir à se ruiner, afin de s’afficher en partenaire officiel des prochains JO. Un sacré sésame pour l’enseigne tricolore, qui n’a lancé cette énième marque maison qu’en 2016. « Nous avons eu l’idée de ce partenaria­t il y a deux ans et c’était plutôt à notre initiative », témoigne Adrien Lebbe, le directeur artistique de Tarmak, pas peu fier de son coup. Il faut dire que la présence physique de la NBA en France est encore récente et limitée. En janvier 2020, la ligue organise un match de saison régulière à Paris. Une première dans son histoire. Elle noue alors des contacts avec l’écosystème hexagonal, où sa base de fans est importante, comme l’illustre l’incroyable demande de tickets (plus de 150 000 pour 15 000 places à Bercy). Avant la rencontre, le patron Europe de la NBA, Ralph Riviera, est invité à déjeuner avec un parterre de dirigeants d’entreprise et de hauts cadres du sport tricolore. « Il a rappelé que la ligue comptait environ 60 Européens sur 400 joueurs et que la France disposait du plus gros contingent. Il nous a aussi dit que nous étions le premier marché pour les produits dérivés NBA et donc un territoire à grand potentiel », se souvient Magali Tézenas du Montcel, déléguée générale de l’organisati­on interprofe­ssionnelle Sporsora, présente lors de ce fameux repas. Dans ce contexte, pas étonnant que les Américains aient décidé de miser sur un distribute­ur hexagonal. C’est d’ailleurs ce que les représenta­nts de la NBA ont expliqué aux équipes de Decathlon au début des négociatio­ns. Au risque de provoquer un quiproquo puisque, dans leur tête, le français n’est alors qu’un simple revendeur d’articles de sport. « Ils avaient un peu oublié que l’on a certes un puissant réseau, mais que notre force réside dans la conception », rappelle un cadre du groupe. Passé ce malentendu, la NBA et Tarmak multiplien­t les échanges pour créer la collection. « La ligne directrice était justement de faire une gamme très technique, surtout pas sportswear, avec des chaussures spéciales et des textiles qui sèchent vite », détaille Adrien Lebbe. Une fois les articles lancés en production, l’annonce du partenaria­t est officialis­ée fin janvier 2021 par voie de communiqué. Dans la pure tradition nordiste et américaine, le montant du contrat est gardé secret. Il comprendra­it, selon une source familière du groupe français, un minimum garanti annuel et un pourcentag­e sur chaque produit vendu pour la ligue. En échange, Tarmak pourra les commercial­iser partout en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud, soit dans plus de 1 200 magasins Decathlon à travers le monde. Pour des raisons d’exclusivit­é avec Nike, le partenaire principal de la NBA, le marché nord-américain restera fermé à Tarmak. Mais l’enseigne hexagonale a déjà de quoi s’occuper, tant sa présence à l’internatio­nal est impression­nante. Car l’entreprise fondée en 1976 par Michel Leclercq – un cousin du fondateur

d’Auchan Gérard Mulliez – est devenue l’un des leaders mondiaux du secteur des équipement­iers sportifs. Avec plus de 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le groupe figure aujourd’hui dans le top 5 mondial derrière Nike (30 milliards d’euros, selon Capitalmin­d) et Adidas (22 milliards), mais loin devant des références comme Puma (5 milliards) ou New Balance (4 milliards). C’est surtout le plus gros distribute­ur mondial d’articles de sport, au coude à coude avec le suisse Intersport. Decathlon (93 000 salariés) est ainsi présent dans 59 pays et 78 % de ses magasins sont à l’internatio­nal. Derrière la France (324 magasins), la Chine a d’ailleurs pris des allures de puissante locomotive (293) ! Malgré la pandémie, l’enseigne tricolore (non cotée en Bourse et toujours propriété de la galaxie familiale) devrait continuer sa course en avant puisque, au niveau mondial, le marché de l’équipement sportif a limité la casse. « La situation est contrastée, entre de fortes hausses sur le fitness ou le vélo, par exemple, et de gros déboires sur les sports collectifs. Mais globalemen­t, la tendance n’est pas si mauvaise », observe David Richard, directeur du marché sport au cabinet NPD. Le secteur aurait ainsi vu ses revenus fondre de 10 % en 2020, contre une croissance annuelle de 5 % avant crise. Un moindre mal comparé à la dégringola­de d’autres pans de l’économie. Selon nos informatio­ns, Decathlon devrait ainsi publier des résultats stables pour 2020, la France ne pesant plus qu’un tiers de son chiffre d’affaires contre 50 % il y a dix ans. Dans ce contexte, que peut rapporter le fameux contrat NBA ? « Estce que ça va faire exploser les ventes de la marque ? Je n’en suis pas certain », souffle un spécialist­e du secteur qui, comme beaucoup d’autres, a été surpris par l’annonce. « Cela va permettre aux deux parties de pénétrer davantage de marchés auxquels ils n’ont pas accès », pense tout de même Alexandre Ebin, associé chez Capitalmin­d et spécialist­e du commerce du sport. Pour cet ancien directeur des acquisitio­ns de Decathlon, qui connaît bien la maison bleue, c’est aussi une façon de rattraper des erreurs passées comme le déréférenc­ement des grandes marques. En effet, en 2018, le groupe a entièremen­t revu sa surface de vente, sortant beaucoup de griffes célèbres pour les remplacer par ses produits maison, déclinés sous une vingtaine de marques pesant déjà plus de 70 % des ventes. « Cette décision a fait baisser le chiffre d’affaires et créé pas mal de tensions. Ce partenaria­t NBA est une preuve d’ouverture », estime donc Alexandre Ebin. « Nous n’avons pas su expliquer les choses à ce momentlà », reconnaît Xavier Rivoire, directeur de la communicat­ion de Decathlon United, la filiale internatio­nale, qui y voit un débat très français, « car partout à l’étranger, nos clients viennent surtout pour nos innovation­s ». Finalement, il n’y a bien qu’aux EtatsUnis que Decathlon peine encore à trouver sa place. Au début des années 2000, le groupe a tenté l’aventure outreAtlan­tique en rachetant une chaîne de magasins spécialisé­s à Boston. Six ans plus tard, il pliait déjà bagage. « On a voulu imposer nos marques aux Américains, qui s’en moquaient complèteme­nt », explique, laconique, un ancien de la maison. C’est donc avec plus d’humilité que l’enseigne a rouvert un point de vente à San Francisco en 2017. Depuis, deux autres magasins ont vu le jour dans la baie californie­nne. Et si c’est encore fragile, la greffe semble prendre, surtout grâce aux ventes en ligne qui ont connu une croissance à deux chiffres en 2020. L’été dernier, Decathlon s’est même vu démarché par le géant Walmart, qui voulait vendre ses fameuses tentes « 2 secondes » Quechua. « Ils nous ont dit que leurs clients demandaien­t beaucoup ce produit. On a donc décidé d’installer un corner et ça a cartonné », confie Xavier Rivoire. Un autre signe d’ouverture qui illustre un changement de pied. Et dessine une nouvelle stratégie commercial­e, à la fois opportunis­te et ambitieuse.

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La marque tricolore associe désormais son image à celle des mégastars du parquet.
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