Le coup de la panne pour la filière auto
Depuis plusieurs semaines, les constructeurs sont contraints de fermer des usines faute de recevoir assez de puces électroniques. Une pièce devenue indispensable aux voitures modernes.
«Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » On ne sait pas si les pontes de l’industrie automobile sont amateurs du poète Alphonse de Lamartine, mais nul doute que ce vers doit aujourd’hui les frapper par son évidence. Un à un, ces dernières semaines, les constructeurs ont dû lever le pied sur les cadences, allant parfois jusqu’à fermer des usines pendant plusieurs jours, faute de livraisons suffisantes de semiconducteurs. Renault a ainsi mis sur pause trois sites, dont celui de Sandouville (SeineMaritime), tandis que Stellantis (fusion PSA – Fiat Chrysler) a dû geler des lignes de production dans une usine en Espagne et une autre en Allemagne. « C’est un effort de guerre quotidien pour réussir à se fournir », confie un porteparole de Stellantis. Si le Meccano mondial de l’industrie automobile se retrouve désormais sévèrement grippé, c’est que les voitures modernes sont truffées de ces puces électroniques. « Il y en a en moyenne plus de 1 000 par véhicule, et ce chiffre ne va faire que grimper avec les véhicules électriques, connectés et autonomes », souligne Jérémie Bouchaud, directeur du département « semiconducteurs pour l’industrie automobile » chez IHS Markit. Sans semiconducteur, pas de voiture. C’est aussi simple que cela. Les raisons de la rupture de stock ? La pandémie, pour commencer, qui, en obligeant la planète à se convertir en masse au télétravail, a fait bondir les ventes d’ordinateurs et de smartphones. « Le travail à distance est rendu possible par le cloud, qui, aussi virtuel soitil, nécessite quantité de serveurs informatiques eux aussi
gourmands en semi-conducteurs », pointe Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Partners. La sortie en fin d’année des dernières consoles de Microsoft et de Sony ainsi que le déploiement de la 5G ont achevé de mettre sous tension la filière. Dans cette crise, l’industrie automobile souffre plus que les autres. « Les constructeurs ont stoppé leurs commandes dès les premiers confinements. Résultat, quand ils ont recontacté leurs équipementiers en août, les carnets de commandes étaient déjà pleins », détaille Jérémie Bouchaud. Les réserves ? « Inexistantes : les constructeurs ont la culture des flux tendus, car les stocks pèsent sur des marges déjà minces », explique Pierre Gerfaux, responsable du secteur automobile chez Accenture. Le problème, c’est que cette pénurie va perdurer. « Le pire est à venir. Il faudra attendre jusqu’au troisième trimestre pour voir l’offre et la demande commencer à s’aligner », estime Jérémie Bouchaud. « Au premier trimestre, 700 000 véhicules ne seront pas assemblés : si on extrapole à l’ensemble de l’année, cela devrait en faire de 3 à 4 millions, soit environ 60 milliards d’euros de manque à gagner », calcule Pierre Gerfaux. Bien sûr, on pourrait voir cela comme un simple report de trésorerie. Mais les caisses des industriels ont déjà été asséchées par la chute des ventes due à la pandémie. Surtout, « une usine qui ne tourne pas, c’est un gouffre financier », poursuit le consultant. Logiquement, la problématique a fini par dépasser le cadre des affaires. Des membres des gouvernements français et allemand ont ainsi tenté de faire pression sur leurs homologues taïwanais, dans l’espoir que ces derniers contraignent le champion local TSMC – plus de 55 % du marché mondial des semi-conducteurs – à livrer en priorité les constructeurs occidentaux. En vain. Le plan de charge atteint ses limites, et il faut de six à neuf mois pour qualifier une nouvelle ligne de production. Une dangereuse dépendance, alors que la numérisation de l’économie et le développement des villes intelligentes vont faire exploser la demande en puces. La ministre déléguée à l’Industrie, Agnès PannierRunacher, a assuré sur BFM TV être « en train de discuter avec la Commission européenne pour remettre de l’argent dans cette filière ». Il y a urgence, alors que la Chine et les Etats-Unis sont déjà engagés dans une course de vitesse pour mettre la main sur ce marché stratégique.