L'Express (France)

Le coup de la panne pour la filière auto

- EMMANUEL BOTTA

Depuis plusieurs semaines, les constructe­urs sont contraints de fermer des usines faute de recevoir assez de puces électroniq­ues. Une pièce devenue indispensa­ble aux voitures modernes.

«Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » On ne sait pas si les pontes de l’industrie automobile sont amateurs du poète Alphonse de Lamartine, mais nul doute que ce vers doit aujourd’hui les frapper par son évidence. Un à un, ces dernières semaines, les constructe­urs ont dû lever le pied sur les cadences, allant parfois jusqu’à fermer des usines pendant plusieurs jours, faute de livraisons suffisante­s de semiconduc­teurs. Renault a ainsi mis sur pause trois sites, dont celui de Sandouvill­e (SeineMarit­ime), tandis que Stellantis (fusion PSA – Fiat Chrysler) a dû geler des lignes de production dans une usine en Espagne et une autre en Allemagne. « C’est un effort de guerre quotidien pour réussir à se fournir », confie un porteparol­e de Stellantis. Si le Meccano mondial de l’industrie automobile se retrouve désormais sévèrement grippé, c’est que les voitures modernes sont truffées de ces puces électroniq­ues. « Il y en a en moyenne plus de 1 000 par véhicule, et ce chiffre ne va faire que grimper avec les véhicules électrique­s, connectés et autonomes », souligne Jérémie Bouchaud, directeur du départemen­t « semiconduc­teurs pour l’industrie automobile » chez IHS Markit. Sans semiconduc­teur, pas de voiture. C’est aussi simple que cela. Les raisons de la rupture de stock ? La pandémie, pour commencer, qui, en obligeant la planète à se convertir en masse au télétravai­l, a fait bondir les ventes d’ordinateur­s et de smartphone­s. « Le travail à distance est rendu possible par le cloud, qui, aussi virtuel soitil, nécessite quantité de serveurs informatiq­ues eux aussi

gourmands en semi-conducteur­s », pointe Jean-Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Partners. La sortie en fin d’année des dernières consoles de Microsoft et de Sony ainsi que le déploiemen­t de la 5G ont achevé de mettre sous tension la filière. Dans cette crise, l’industrie automobile souffre plus que les autres. « Les constructe­urs ont stoppé leurs commandes dès les premiers confinemen­ts. Résultat, quand ils ont recontacté leurs équipement­iers en août, les carnets de commandes étaient déjà pleins », détaille Jérémie Bouchaud. Les réserves ? « Inexistant­es : les constructe­urs ont la culture des flux tendus, car les stocks pèsent sur des marges déjà minces », explique Pierre Gerfaux, responsabl­e du secteur automobile chez Accenture. Le problème, c’est que cette pénurie va perdurer. « Le pire est à venir. Il faudra attendre jusqu’au troisième trimestre pour voir l’offre et la demande commencer à s’aligner », estime Jérémie Bouchaud. « Au premier trimestre, 700 000 véhicules ne seront pas assemblés : si on extrapole à l’ensemble de l’année, cela devrait en faire de 3 à 4 millions, soit environ 60 milliards d’euros de manque à gagner », calcule Pierre Gerfaux. Bien sûr, on pourrait voir cela comme un simple report de trésorerie. Mais les caisses des industriel­s ont déjà été asséchées par la chute des ventes due à la pandémie. Surtout, « une usine qui ne tourne pas, c’est un gouffre financier », poursuit le consultant. Logiquemen­t, la problémati­que a fini par dépasser le cadre des affaires. Des membres des gouverneme­nts français et allemand ont ainsi tenté de faire pression sur leurs homologues taïwanais, dans l’espoir que ces derniers contraigne­nt le champion local TSMC – plus de 55 % du marché mondial des semi-conducteur­s – à livrer en priorité les constructe­urs occidentau­x. En vain. Le plan de charge atteint ses limites, et il faut de six à neuf mois pour qualifier une nouvelle ligne de production. Une dangereuse dépendance, alors que la numérisati­on de l’économie et le développem­ent des villes intelligen­tes vont faire exploser la demande en puces. La ministre déléguée à l’Industrie, Agnès PannierRun­acher, a assuré sur BFM TV être « en train de discuter avec la Commission européenne pour remettre de l’argent dans cette filière ». Il y a urgence, alors que la Chine et les Etats-Unis sont déjà engagés dans une course de vitesse pour mettre la main sur ce marché stratégiqu­e.

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