L'Express (France)

OUI / « LES BREVETS COÛTENT DES VIES »

- PAR NAJAT VALLAUD-BELKACEM

Malgré la multiplica­tion des appels à faire des vaccins Covid un bien public mondial, nos dirigeants semblent avoir du mal à joindre le geste à la parole. Certes, la plupart des pays riches ont promis de partager leurs doses excédentai­res. Mais l’ampleur de la demande dans ces pays signifie qu’il faudra plusieurs années avant que les excédents arrivent enfin à destinatio­n. Cette approche du « ruissellem­ent » de l’accès aux vaccins va prolonger inutilemen­t la durée de vie de la pandémie. Depuis le début de la crise, les pénuries de tests, traitement­s et maintenant doses sont essentiell­ement causées par des restrictio­ns de propriétés intellectu­elles. Les entreprise­s pharmaceut­iques ne fabriquent pas assez de vaccins, et refusent de partager leurs licences et leur savoir-faire pour que d’autres puissent en produire et combler ce déficit. Voyez les annonces de retards de livraison d’AstraZenec­a et de PfizerBioN­Tech en raison de problèmes de production : les brevets détenus par les sociétés pharmaceut­iques, en empêchant leurs vaccins d’être produits à plus grande échelle, ralentisse­nt le combat contre la pandémie pour tous, ceux qui ont préréservé la majorité des doses disponible­s et les autres. Bien sûr, la propriété intellectu­elle joue, en temps normal, un rôle fondamenta­l de moteur de l’innovation et de récompense d’un risque. Mais les temps actuels sont tout sauf normaux, les moteurs de l’innovation évidents, et la prise de risque est majoritair­ement assumée par les contribuab­les, puisque c’est leur argent qui a été massivemen­t investi dans la recherche des candidats vaccins. Plus de 100 pays soutiennen­t aujourd’hui la propositio­n auprès de l’OMC de l’Afrique du Sud et de l’Inde de lever temporaire­ment les règles de propriété intellectu­elle pour les vaccins contre le Covid-19. Y compris désormais l’Italie, présidente annuelle du G20, ou certaines entreprise­s pharmaceut­iques, telle l’allemande CureVac. Qu’attendent la France et l’Union européenne ? De 1998 à 2004, 9,3 millions de personnes sont mortes du VIH en Afrique subsaharie­nne en raison des coûts exorbitant­s des traitement­s, qui n’ont pu être drastiquem­ent réduits, la décennie suivante, que grâce à la levée des brevets et la fabricatio­n de traitement­s génériques. Ces brevets coûtent des vies, dans les pays pauvres comme chez nous. Ne reproduiso­ns pas les mêmes erreurs. Najat Vallaud-Belkacem est directrice générale France de ONE, ONG qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables.

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