Le Grand-Parisien du futur, par Jean-Laurent Cassely
De plus en plus perçue sous l’angle des nuisances, la région capitale doit se réinventer.
Souvenez-vous, c’était il y a bientôt un an : lundi 16 mars 2020, le président de la République annonçait à un pays tétanisé son premier confinement, effectif dès le lendemain à partir de midi. Les autoroutes et les gares étaient prises d’assaut. Bientôt, on vit les Parisiens arriver dans le Perche, à Biarritz ou sur l’Île de Ré. Maisons secondaires, locations Airbnb, parents, belle-famille, amis furent mobilisés pour les aider à fuir une ville qui, en l’espace d’une journée, a vu sa désirabilité chuter comme rarement dans son histoire. L’Insee et les données des opérateurs de télécoms confirmeront l’ampleur de l’exode urbain : 1,2 million d’habitants de l’agglomération parisienne avaient quitté leur résidence durant la première semaine de confinement.
Une vision expansionniste datée
La grande évasion de mars 2020 semblait couronner un rejet croissant de la vie urbaine, de plus en plus perçue sous l’angle des nuisances qui lui étaient imputées : coût du logement, transports bondés, saleté, pollution atmosphérique, relations sociales électriques… Un an plus tard, alors que les Parisiens ne parlent plus que de vivre à Nantes, à Bordeaux, dans la Drôme ou dans une ville moyenne dont la gare se situe à moins de deux heures de la capitale, le projet du Grand Paris et son super métro, qui visent à renforcer l’attractivité de la région, est officiellement toujours dans les tuyaux. Des maquettes en images de synthèse d’agences d’urbanisme préfigurent les bâtiments basse consommation qui doivent former un embryon de smart city résiliente et apaisée autour de chaque gare du futur métro. Un tel décalage entre l’état d’esprit des habitants de la capitale, qui rêvent de la quitter, et les plans des pouvoirs publics, qui persévèrent dans leur vision expansionniste datée, a alerté le journaliste Olivier Razemon, qui s’est penché sur le destin des « Parisiens » dans un ouvrage récemment paru (1).
Aucune identité partagée
Iconoclaste, son livre prend la défense de ces citoyens dont le sort, selon lui, ne suscite plus tant le rejet que l’indifférence de la part des Français des « territoires ». Paris et la trentaine de communes de banlieue qui la jouxtent constituent ainsi un ensemble de 3,5 millions d’habitants qui se « grand-parise ».
Mêmes modes de vie… et, de plus en plus, mêmes prix du mètre carré ! Outre le célèbre périph, d’autres délimitations ont contribué à diluer la lisibilité de la région capitale : l’Ile-de-France et ses 12 millions de Franciliens ne renvoient à aucune identité partagée. « Que dire à un Francilien ? » s’interroge Olivier Razemon. De même, qui se sent vraiment « grand-parisien » ? Longtemps, ce magma urbain a été réduit à un vaste « bordel », selon l’expression prêtée au général de Gaulle survolant en hélicoptère la catastrophe urbanistique dans les années 1960. Une zone peuplée de millions de « banlieusards » agglutinés dans des morceaux de ville au rabais et condamnés à un éternel enfer pendulaire. Cités sensibles, lotissements datés, friches industrielles ou centres commerciaux seventies résument cet imaginaire négatif. Pourtant, la région parisienne a aussi ses champs, ses plaines, ses forêts, ses villes nouvelles au monumentalisme remarquable, ses communes limitrophes de fin de passe Navigo à l’atmosphère provinciale. Il serait possible, soutient Olivier Razemon, de vivre harmonieusement en Ile-de-France, et peut-être même de l’aimer. Pour cela, il faudrait que la région soit « moins écrasante, moins dominante, comme l’espèrent ses habitants, qui rêvent d’une région humaine, plus supportable, moins chère, moins stressante ».
Desserrer pour rendre supportable
Auteur en 2016 d’un ouvrage qui a largement contribué à mettre la question du déclin des villes moyennes à l’agenda médiatique et politique (2), Razemon plaide tout naturellement pour que l’offre rencontre enfin la demande ; que des territoires qui se battent pour leur survie accueillent à bras ouverts des individus qui n’attendent qu’une incitation pour faire leurs valises. Un tel desserrement rendrait le futur Grand Paris plus supportable pour tous ceux qui restent, et qu’il ne faudrait pas oublier dans l’excitation du grand départ. Car si cadres sup, consultants-TGV et autres créatifs hypermobiles peuvent s’extraire ponctuellement du Grand Paris, les travailleurs essentiels acclamés lors du confinement auront plus de difficulté à télétravailler…
(1) Les Parisiens, une obsession française, par Olivier Razemon.
Ed. Rue de l’échiquier.
(2) Comment la France a tué ses villes, du même auteur chez le même éditeur.
Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste, spécialiste de la nouvelle société de consommation.