Islande Comment la « terre de glace » a retrouvé une activité (presque) normale
Depuis plusieurs semaines, l’épidémie de Covid-19 est sous contrôle grâce aux mesures prises aux frontières, au séquençage des cas positifs et à l’adhésion des habitants.
Imaginez un instant : boire une bière dans un bar, aller dîner au restaurant, fréquenter une salle de sport… Face à l’épidémie de Covid-19 qui semble sans fin, ces fragments du monde d’avant paraissent irréels. Ils sont pourtant très concrets pour les habitants d’un des Etats de l’espace Schengen : l’Islande. Le 8 février, la « terre de glace » a pu alléger ses restrictions et retrouver une activité quasi normale. Une exception sur le Vieux Continent. C’est en effet le seul pays classé « vert » sur la carte établie par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Les voyageurs venant de cette république insulaire peuvent donc – en théorie – circuler dans les 27 Etats membres sans avoir à présenter de test ou à respecter des mesures de quarantaine. Bien sûr, il est difficile de comparer l’Islande avec les autres pays européens. Située dans l’Atlantique Nord, entre le Groenland et la Norvège, cette île n’est pas un lieu de transit. Elle ne compte que 360 000 habitants, dont 60 % résident près de la capitale, Reykjavik. Les chiffres n’en font pas moins rêver. Depuis le 1er février, seulement 43 nouveaux cas de Covid ont été dépistés. A titre de comparaison, depuis le début de la pandémie, on a dénombré 3 fois moins de cas par million d’habitants qu’en France. Et l’Islande ne déplore « que » 29 décès, soit 15 fois moins de morts pour 100 000 personnes que dans l’Hexagone. Selon les données établies par le site Our World in Data (lié à l’université britannique d’Oxford), c’est à partir de la mi-octobre que le Covid a fortement reculé sur l’île. Le pays a commencé à assouplir les restrictions un mois plus tard, sans qu’il y ait pour autant de flambée de nouveaux cas.
Comment expliquer ce succès ? « Par l’utilisation précoce de la modélisation pour prédire l’ampleur de l’épidémie, le recours au dépistage et la mise en quarantaine de tous ceux qui ont été en contact avec des personnes testées positives », énumère Thor Aspelund, professeur d’épidémiologie et de biostatistique à l’université d’Islande, à Reykjavik. Ce scientifique met aussi en avant des discussions « ouvertes » et « fondées sur la confiance » entre les autorités de santé, le gouvernement et le monde universitaire. Mais ce n’est pas tout. « Inscrite dans la durée, la stratégie sanitaire islandaise n’a pas été brouillée par des messages contradictoires, ce qui a entraîné une forte adhésion de la population », ajoute Anne Sénéquier, médecin et codirectrice de l’observatoire de la santé mondiale de l’Institut des relations internationales et stratégiques. Là encore, le contraste avec l’Hexagone est saisissant : « Dans la gestion de la crise, les autorités françaises n’ont pas réussi à créer d’unité politique, relève-t-elle. Il y a beaucoup de débats et de critiques, souvent
stériles. Au lieu d’être constructif, le climat, délétère, suscite la méfiance. »
Ensuite, les mesures prises dans les ports et les aéroports islandais se sont révélées efficaces : « Depuis l’été, une quarantaine de quatorze jours ou un double test PCR [à l’arrivée et au bout d’une semaine] est imposé à toute personne entrant dans l’île, précise Anne Sénéquier. Elle doit se faire enregistrer et renseigner les adresses où elle compte se rendre, mais aussi indiquer les derniers pays qu’elle a visités. Et il est vivement conseillé de télécharger l’application de traçage. »
Enfin, le séquençage génétique – technique permettant d’identifier les variants du coronavirus – a été un outil précieux. Il est réalisé pour chaque cas positif. « Il a notamment contribué à fournir une image plus claire de la propagation du variant anglais », fait remarquer Thor Aspelund. Faudrait-il instaurer un séquençage systématique en France ? C’est l’avis d’Anne Sénéquier : « Les variants sont plus transmissibles. Il est donc primordial de détecter leur présence pour savoir comment la situation va évoluer dans les prochaines semaines. » Mais elle reconnaît que « déployer cette technologie dans notre pays constituerait un défi immense : la population française est 186 fois plus importante que celle de l’Islande ».
Et quid des vaccins ? Là encore, la « terre de glace » a tout bon. L’île peut se targuer d’avoir l’un des rythmes de vaccination les plus élevés d’Europe. Plus de 20 000 doses ont déjà été administrées, selon Our World in Data. En sus de ces bons résultats, il est maintenant question d’utiliser un outil polémique : le passeport vaccinal. A la mi-janvier, le comité d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé a annoncé qu’il s’opposait « pour le moment » à l’instauration de certificats de vaccination comme condition d’entrée dans un pays. Des discussions ont été menées au sein de l’Union européenne, mais sans que l’on parvienne à un consensus. L’Islande, qui fait partie de l’espace de libre circulation Schengen, n’en a pas moins commencé à en délivrer dès la fin du mois de janvier.
Les personnes ayant été « piquées » peuvent demander en ligne le précieux sésame. Objectif : « faciliter la circulation entre les pays, lit-on sur le site du gouvernement. Les individus qui présentent un certificat de vaccination à une frontière pourront être exemptés des mesures antiCovid. » Car ces attestations n’ont, pour l’instant, aucune valeur. Mais, là encore, les Islandais ont un coup d’avance.