L'Express (France)

Etats-Unis Pour Joe Biden, la bataille du smic est déclarée

Le président voudrait doubler le salaire minimum d’ici à 2025. Mais rien n’est gagné. Une telle hausse effraie de nombreux élus, y compris chez les démocrates.

- PAR ALEXIS BUISSON (NEW YORK)

Caissière en magasin, employée de station-service, aide-cuisinière en restaurant : toute sa vie, Pam Garrison, 61 ans, a enchaîné les petits boulots payés au salaire minimum de 7,25 dollars de l’heure. « Ce n’est pas assez pour élever deux enfants », témoigne cette habitante de l’Etat de Virginie-Occidental­e, plombé par le déclin de l’industrie du charbon et les ravages du Covid-19. « Souvent, ajoutet-elle, je me suis abstenue de m’alimenter pour que mes enfants puissent manger à leur faim. Plus d’une fois, j’ai fréquenté les soupes populaires », raconte-t-elle.

Révoltée par la condition des travailleu­rs pauvres, la sexagénair­e a rejoint la Poor People’s Campaign, une associatio­n qui milite pour l’augmentati­on du salaire minimum. La mesure, en discussion au Congrès, fait partie du mégaplan de relance à 2 000 milliards de dollars de Joe Biden. Si elle est adoptée, le smic national (minimum wage) passerait de 7,25 à 15 dollars de l’heure d’ici à 2025. Ce revenu plancher fixé par le Congrès sert de base à tous les salaires minimum aux Etats-Unis, où chaque Etat, ville, entreprise ou comté est libre de fixer son propre smic, à condition qu’il ne soit pas inférieur au minimum wage fédéral. Or ce dernier n’a pas été relevé depuis 2009.

Le débat n’est pas nouveau. Il remonte à plus d’un siècle. Dès 1912, plusieurs Etats créent des salaires planchers, essentiell­ement pour les femmes et les enfants. Mais il faut attendre 1938 et le New Deal de Franklin D. Roosevelt pour que l’Etat fédéral fixe un salaire horaire minimum national. Considéré comme une avancée révolution­naire, celui-ci est alors fixé à… 0,25 dollar ! Depuis, il a été réévalué à 20 reprises – très peu à chaque fois –, essentiell­ement en période de croissance.

La crise de 2008-2009 et l’accroissem­ent des inégalités ont remis le sujet sur la table. Ainsi, en 2012, des centaines d’employés de fast-food, rassemblés au sein du mouvement « Fight For 15 » (« Combat pour 15 dollars »), lancent des grèves nationales afin de pousser les Etats et les entreprise­s à intervenir pour compenser l’inaction du gouverneme­nt fédéral. Bientôt, ils sont rejoints par d’autres salariés précaires, comme les enseignant­s de certains Etats, les personnels d’aéroports et de magasins, forcés de cumuler plusieurs emplois pour survivre. Par la suite, sept Etats et plusieurs entreprise­s (Walmart, Starbucks) ont décidé d’augmenter leur salaire minimum à 15 dollars.

La notion de smic ne va pas de soi au pays de la libre entreprise, où la protection des travailleu­rs arrive au second plan. Bien au contraire, elle divise la société. « En gros, résume Price Fishback, professeur d’économie à l’université de l’Arizona, les démocrates estiment que ces hausses permettent de soutenir l’économie, tandis que les républicai­ns y voient un danger pour l’emploi » Selon ces derniers, un employeur qui rémunère ses serveurs 8 dollars et qui se voit obligé de passer leur salaire à 15 dollars pourrait décider d’en licencier et hésitera à recruter.

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est déclarée

— P. 43. Jean Ribault, l’explorateu­r normand

qui fait polémique

— P. 44. Coup de blues à Fox News

Toutefois, la question transcende les lignes partisanes. En novembre dernier, les électeurs de Floride ont voté majoritair­ement pour Donald Trump, tout en approuvant, lors d’un référendum, la hausse du salaire minimum à 15 dollars. Politiquem­ent, la bataille n’est pas gagnée, même si 2 Américains sur 3 se déclarent favorables à une augmentati­on du smic. Joe Biden lui-même reconnaît que la mesure passera difficilem­ent le cap du vote au Sénat, où démocrates et républicai­ns détiennent chacun 50 sièges.

De fait, deux sénateurs démocrates, Joe Manchin (Virginie-Occidental­e) et Kyrsten Sinema (Arizona), y sont opposés, au grand dam de leur collègue progressis­te Bernie Sanders, qui proposait déjà d’élever le minimum wage lors des primaires démocrates en 2016. Manchin et Sinema sont ainsi d’accord avec les conclusion­s du bureau d’analyse budgétaire du Congrès, qui est non partisan. Cet organe estime que 1,4 million d’Américains se retrouvera­ient au chômage d’ici à 2025 si le smic passait subitement à 15 dollars. « Certes, le salaire minimum national est trop bas, reprend Price Fishback, mais le multiplier par deux représente un bond très important. La chose ne ferait pas débat si le smic était seulement augmenté à 10 dollars. En outre, il existe des disparités géographiq­ues. Une hausse dans le Sud, où le coût de la vie est modeste, n’aura pas le même effet qu’à New York, où il est très élevé. Le doublement du smic risquerait d’engendrer du chômage à un moment où l’économie a besoin d’être relancée. Une approche plus souple et ciblée serait sans doute mieux adaptée. »

A New York, le Français Armel Joly, patron du restaurant OCabanon, qui paie déjà une partie de son personnel à 15 dollars de l’heure, estime que le surcoût sera plus difficile à absorber pour les petits établissem­ents que pour les grands. Surtout au moment où lui comme d’autres sont pénalisés par les restrictio­ns sanitaires. « Je comprends que Biden veuille s’engager dans une direction sociale après quatre années de présidence Trump, dit-il. Mais le timing n’est pas idéal. »

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