Ainsi commencent les révolutions, par Robin Rivaton
Les inégalités ne cessent de se creuser sous l’effet de la pandémie et de politiques monétaires expansionnistes.
J’ai été rangé parmi les libéraux. Je ne le renie pas. Mais je pense que personne ne se rend compte du gouffre de disparités qu’ont créé les politiques monétaires expansionnistes et la restriction de la consommation. Dans son ouvrage Une histoire des inégalités, paru en 2017, le professeur de Stanford Walter Scheidel classe les épidémies parmi les périodes où l’on a pu observer une réduction des inégalités, au même titre que les guerres ou les révolutions. Mais la pandémie de Covid-19 met à mal cette théorie, en tout cas pour ce que l’on a pu constater au sein de chaque pays.
L’épargne captée par les plus aisés
Les économistes de la Banque de France estiment que le surcroît d’épargne atteindra 200 milliards d’euros d’ici à la fin de l’année. Il y a une trentaine de millions de ménages dans l’Hexagone. Une simple division donnerait un surplus moyen de 6 700 euros par foyer, soit 278 euros par mois sur deux ans.
Ces chiffres cachent mal l’extrême disparité des situations. Selon un sondage récent d’OpinionWay, 27 % des ménages ont déclaré ne rien avoir mis de côté l’année dernière. En octobre, le Conseil d’analyse économique (CAE) avait conclu – en étudiant les transactions bancaires de 300 000 ménages – que les 10 % les plus aisés avaient capté la moitié du surplus d’épargne.
Plus récemment, il a montré que les 10 % les moins riches avaient au contraire dû piocher dans leurs réserves pendant l’année. Dans le même temps, pour les privilégiés qui ont la chance d’avoir économisé, c’est la course aux placements. La semaine dernière, je participais à l’université en ligne d’un groupe d’investissement immobilier. Son patron, plein de sagesse, s’inquiétait. Non pas pour son activité – il n’a jamais collecté autant d’argent –, mais pour la stabilité du pays. Il ne lui semblait pas tenable que les ménages aisés, en jouant avec cette épargne providentielle et l’effet de levier de la dette, puissent ramasser des biens immobiliers dans l’objectif de les louer. Comme le nombre de logements construits en France est en baisse, cet appétit pour la pierre constitue en effet une éviction directe, au détriment de ceux qui sont moins favorisés.
100 000 euros investis en dix minutes
L’argent coule à flots. Un exemple parmi d’autres : un ami gérant me confiait qu’un maraîcher de Rungis venait d’investir
100 000 euros dans son fonds immobilier, après une souscription en ligne de dix minutes. Même les placements plus risqués, en écho à la folie spéculative qui s’est emparée de Wall Street, attirent. En 2020, près de 400 000 Français sont devenus des investisseurs boursiers, doublant ainsi les rangs des actionnaires individuels de la place parisienne. Et je ne parle même pas des ultrariches. Il y a dix ans, ne pas avoir de Rolex à 50 ans signifiait avoir raté sa vie. Aujourd’hui, ne pas bénéficier des services d’un family office peut vous condamner à l’infamie... Autre exemple : il y a quelque temps, j’étais chez mon coiffeur. La position assise invitant à des semi-confessions, nous avons parlé gros sous. Nous en sommes venus à évoquer l’affaire du bitcoin et de GameStop, qui semblait rendre mon interlocuteur incrédule. Je n’ai pu alors m’empêcher de penser à cette anecdote sur le très prétentieux John D. Rockefeller, fondateur de la Standard Oil Company, sans doute plus grande fortune de l’histoire américaine, qui avait coutume de se vanter d’avoir vendu toutes ses actions quand, juste avant la crise de 1929, son chauffeur lui avait demandé quoi acheter. A l’époque, chaque habitant de New York avait son avis sur la question.
Un meilleur partage
On pourrait penser que le resserrement des politiques monétaires aura tôt fait de dégonfler ces patrimoines boursouflés. On aurait tort. Les investissements d’aujourd’hui seront les rendements de demain et les inégalités d’après-demain. Le fossé entre ceux qui possèdent les actifs et ceux qui ne peuvent plus les acquérir s’élargira encore. Parce que ce sont ces disparités qui déclenchent les révolutions, il est grand temps de prendre le sujet à bras-le-corps. La taxation du patrimoine dans une économie ouverte, où le capital circule, est un frein à la croissance. Et la France est déjà championne du monde en la matière… Il faut donc travailler à la réduction du prix des actifs quand ils ne sont pas rares et à leur meilleur partage quand ils le sont. Camarades, plus de constructions et plus de fonds de pension, voilà comment nous ferons la révolution.