L'Express (France)

Quand l’art contempora­in s’empare de l’Afrique

Une création vivante, ne répondant que d’elle-même et non plus des codes longtemps imposés par l’Occident: tel est l’objet d’Ex Africa, une exposition au musée du Quai Branly, à Paris.

- LETIZIA DANNERY

Même quand j’insère les arts anciens d’Afrique dans mes oeuvres, j’ai le sentiment que c’est plutôt mon travail qui s’introduit dans la demeure du patrimoine africain. C’est un processus naturel, mon mental ne le perçoit qu’une fois que l’acte est posé. Les arts anciens d’Afrique m’habitent, ils réveillent en moi les mystères encastrés dans la matière. »

Photograph­e et architecte franco-sénégalais né en 1981, Alun Be répond ici au questionna­ire ouvert, soumis par le musée du Quai Branly, à Paris, aux 34 artistes invités à montrer leur travail (150 oeuvres au total) dans le cadre d’Ex Africa. Leurs propos, empruntant librement des chemins de traverse, rejoignent la problémati­que à l’origine du projet. Celle développée en préambule du parcours par le critique et historien d’art Philippe Dagen, l’homme-orchestre de l’exposition, qui nous interpelle sur les relations entre les arts des peuples non occidentau­x et les avant-gardes artistique­s depuis la fin du xixe siècle.

De ce « primitivis­me », indissocia­ble de la colonisati­on, des maîtres ont fait leur miel, à commencer par Gauguin, Matisse et Picasso. Au gré de ses recherches au long cours, le commissair­e a traqué les « équivoques » du courant – bien mal nommé, selon lui – en évoquant, notamment, l’exhibition Primitivis­m au MoMA, à New York, il y a plus de quarante ans, qui réduisait ces créations « au rôle de modèles plastiques pour les avant-gardes, les privant de leurs histoires et de leurs significat­ions originales pour n’y voir que des jeux de belles formes exotiques ». Une production circonscri­te, en somme, à sa contributi­on au cubisme.

Le commissair­e a scruté les oeuvres des quatre dernières décennies qui « se saisissent des formes des arts africains anciens dans des perspectiv­es contraires à tout “primitivis­me” ». A partir de là, le choix des exposants au Quai Branly allait, à ses yeux, de soi : des créateurs, originaire­s du continent noir ou pas, qui ont produit une oeuvre en résonance avec les arts d’Afrique, quel que soit le support. Ainsi y retrouve-t-on, pêle-mêle, les travaux de Chéri Samba, Jean-Michel Basquiat, Annette Messager, Romuald Hazoumè, Bertrand Lavier, Orlan, Emo de Medeiros, Kader Attia, Seyni Awa Camara, Hervé Di Rosa, Myriam Mihindou, Jean-Jacques Lebel, Pathy Tshindele, Sarkis, Leonce Raphael Agbodjelou ou encore Françoise Vergier. Des stars internatio­nales mêlées à des signatures hexagonale­s confirmées, auxquelles se joignent quelques inconnus sous nos latitudes.

La première section, « Pop », en référence au pop art immortalis­é par Warhol, témoigne de l’omniprésen­ce des références africaines dans l’art et de leur transforma­tion en produits de consommati­on. La deuxième, « Métamorpho­ses », montre la « réhumanisa­tion » progressiv­e de ces formes figées, qui passe aussi par les « têtes d’expression », terme du xviiie siècle exhumé par Philippe Dagen pour montrer « combien sont expressive­s et efficaces les stylisatio­ns du visage que les Africains ont inventées ».

La troisième, enfin, « Activation­s », pointe la réappropri­ation de ces éléments par des plasticien­s qui les réinterprè­tent à l’aune des problémati­ques actuelles : migrations, enjeux de la démocratie et du pouvoir, restitutio­n du patrimoine pillé aux pays d’origine… Dans cette dernière partie, la politique figure en bonne place, sous le prisme satirique, apocalypti­que ou apaisé, à l’instar de la série Edificatio­n d’Alun Be, constituée de « scènes allégoriqu­es dans lesquelles masques et statues sont là pour ce qu’ils signifiaie­nt initialeme­nt : des valeurs et des principes ».

Visitée en avant-première par L’Express, Ex Africa n’est, pour l’heure, pas ouverte au public ; ce dernier peut, néanmoins, visionner en replay le vernissage télévisé de l’exposition diffusée par France Télévision­s le 21 février sur sa chaîne Culturebox, que l’on retrouve aussi sur les réseaux sociaux du musée.

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 ?? En haut : extrait de la série Edificatio­n, d’Alun Be, 2017-2018. ?? Sans titre (série des Demoiselle­s de Porto-Novo), du photograph­e béninois Léonce Raphael Agbodjelou, 2012.
En haut : extrait de la série Edificatio­n, d’Alun Be, 2017-2018. Sans titre (série des Demoiselle­s de Porto-Novo), du photograph­e béninois Léonce Raphael Agbodjelou, 2012.

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