L'Express (France)

La colivraiso­n, le phénomène qui monte

Faire appel à un voisin pour se faire livrer? C’est la nouvelle offre solidaire proposée par des plateforme­s et des applicatio­ns dédiées.

- PAR CAROLINE LUMET

AMontrouge (Hauts-de-Seine), Benjamin Jarpert se dirige vers une station de métro, une paire de skis de fond sous le bras. « Pas de sports d’hiver pour moi cette année, je pars à Bordeaux en déplacemen­t profession­nel », assure cet ingénieur commercial de 41 ans. Et les skis ? « Je les transporte pour une voisine qui les a vendus sur Internet. Elle a ensuite demandé sur un groupe Facebook si quelqu’un partait dans le SudOuest, et me voilà. » Au cours de ses nombreux déplacemen­ts, il a ainsi acheminé « un passeport oublié à Bordeaux, un panier garni d’une maman bayonnaise pour son fils étudiant en région parisienne, des cadeaux de Noël de grands-parents qui ne pouvaient pas se déplacer depuis Aix-enProvence pour leurs petits-enfants ».

Benjamin est inscrit sur une dizaine de groupes locaux d’entraide, mais aussi des plateforme­s de livraison collaborat­ives. « Ça permet de rencontrer ses voisins pour autre chose que le tapage nocturne, plaisante-t-il. La première fois, c’était dans l’idée de gagner un peu d’argent, mais mutualiser ainsi mes déplacemen­ts permet de réduire leur impact environnem­ental. Et ça renforce la vie de quartier : j’ai rencontré des habitants avec qui j’ai sympathisé. » De fait, la « colivraiso­n » est à la fois un vecteur de lien social tout comme une manière de diminuer nos émissions de CO2.

Depuis un an, la livraison de colis et de courses entre particulie­rs se développe, les uns profitant d’un trajet personnel ou profession­nel des autres. S hop op op a ainsi enregistré plus de 600000 échanges en 2020, soit une hausse de 388 % par rapport à 2019. Une solution intéressan­te alors qu’on estime à environ 500 millions le nombre de colis expédiés depuis et à destinatio­n de la France l’an dernier. Un chiffre en constante augmentati­on, à mesure que l’e-commerce s’installe dans nos habitudes. Or « la ville ne peut pas supporter l’explosion des livraisons. Il y a là de vraies problémati­ques sur la qualité de l’air, la congestion des transports, les nuisances sonores », met en garde Kayana Manivong, président de l’entreprise lyonnaise Colivreur.

A Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), Ilham et Delphine, 41 ans, peinent à refermer le coffre de leur voiture sur les cinq packs d’eau et de lait, les poches isothermes et la dizaine de sacs réutilisab­les remplis de denrées alimentair­es. Non, le couple ne souffre pas du syndrome préconfine­ment : il réceptionn­e les courses de sa voisine en même temps que les siennes. « Le patron de Marie-Cécile l’astreint à être en présentiel, explique Ilham. Les magasins sont fermés quand elle sort de son entreprise. Ma femme et moi sommes en télétravai­l. On peut passer au drive du supermarch­é dans la journée. » Comme MarieCécil­e, une majorité de Français déclare pouvoir compter sur ses voisins en cas d’imprévu. Et, selon une enquête réalisée en 2020 pour le site d’entraide collaborat­if Smiile, 67 % des riverains connectés donnent un coup de main plusieurs fois par mois.

« Contrairem­ent aux géants d’Internet, les réseaux sociaux de voisinage redéfiniss­ent les contours d’un territoire de proximité pour les utilisateu­rs qui souhaitent échanger, donner des biens, des services… La Toile, dans ce cas, est une médiatrice qui provoque la rencontre, et renforce le sentiment d’appartenan­ce à une communauté sociale et solidaire », explique Jean-François Lucas, sociologue spécialist­e des liens entre ville et numérique. L’occasion de voir d’un autre oeil celui ou celle qui habite à côté.

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Des services qui créent du lien social.

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