Avec le Covid, coup d’arrêt sur les expulsions
Fermeture des frontières, refus de tests PCR... Les renvois hors Europe sont désormais quasi inexistants.
Il est des situations où le volontarisme politique bute sur la réalité du monde. Depuis sa nomination au ministère de l’Intérieur en juillet 2020, Gérald Darmanin en a fait la cruelle expérience. Lui qui rêvait d’incarner la fermeté régalienne et la lutte contre l’immigration illégale ne peut guère brandir de succès comme il en a l’habitude. Avec le Covid, la politique d’expulsion des étrangers en situation irrégulière est fortement ralentie. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2020, le nombre de renvois vers les pays d’origine a diminué de 49,2 % par rapport à 2019. Une tendance encore plus marquée si l’on ne retient que les retours forcés (- 51,8 %) ou les expulsions vers les seuls pays hors de l’Union européenne (- 62,4 %). Au cours de l’année écoulée, quelque 3 000 procédures de ce type ont été menées à terme (voir graphique page suivante).
Et le début de 2021 s’annonce sous les mêmes auspices. Au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), que l’Express a pu visiter le 16 février avec la sénatrice EELV Esther Benbassa, les forces de l’ordre le reconnaissent : elles n’ont procédé à quasiment aucun renvoi hors de l’espace Schengen, ni vers l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, ni vers le reste de l’Afrique. Seuls des étrangers qui ont fait une première demande d’asile dans un autre pays d’Europe, ou des ressortissants d’Etats tels que la Roumanie, l’Albanie ou la Géorgie ont été transférés.
Le coup de frein est, pour l’essentiel, lié à l’épidémie de Covid. D’abord, parce que de nombreuses nations ont opté pour une fermeture pure et simple de leurs frontières. L’Algérie interdit, par exemple, toute entrée sur son territoire depuis le 10 mars. Ensuite, parce que des administration se sont mises à fonctionner au ralenti. Or, pour expulser quelqu’un, il faut, au préalable, obtenir de son pays un laissez-passer consulaire. Certains gouvernements étaient déjà réticents à les délivrer avant la pandémie, ils sont désormais aux abonnés absents. La tournée effectuée à l’automne par Gérald Darmanin au Maghreb et en Russie pour inciter ces pays à faire preuve de bonne volonté en ce domaine n’y a rien changé.
Enfin, en exigeant un test PCR négatif avant d’accepter un de leurs ressortissants, les Etats ont fini de gripper la machine. Depuis quelques mois, en effet, des personnes menacées d’expulsion refusent de se soumettre à ce test. Le droit les y autorise, au nom du principe de l’inviolabilité du corps humain. Le parquet peut les poursuivre pour « obstruction à une mesure d’éloignement » et la justice les condamner à une peine de prison ou à une nouvelle interdiction de séjour sur le territoire français, mais l’expulsion ne pourra pas être mise en oeuvre si la personne s’oppose toujours au test. L’exécutif ne communique pas de données sur l’ampleur du phénomène, mais il reconnaît que cela a pesé sur les chiffres.
« L’année 2020 est complètement atypique, il y a eu des changements de règles toutes les semaines. Le contexte de notre action a été complexe », plaidait un proche de Gérald Darmanin, fin janvier, lors de la présentation du bilan 2020 de l’immigration. Et de détourner l’attention vers les seuls profils radicalisés ou considérés comme dangereux, ces 231 individus que le ministère de l’Intérieur s’est fixé comme objectif d’expulser au plus vite et sur lesquels il ne se prive pas de communiquer. Une mission certes importante, mais qui ne représente qu’une toute petite part des présents dans les centres de rétention. « Moins de 10 % », estimait, mi-février, un responsable du CRA du Mesnil-Amelot. Les autres, eux, continuent d’attendre une improbable expulsion. ✷