L'Express (France)

« Avec la distributi­on alimentair­e, l’idée est de rendre les clients captifs »

Amazon creuse peu à peu son sillon dans le secteur, en multiplian­t les astuces technologi­ques. De quoi inquiéter sérieuseme­nt les acteurs historique­s.

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL BOTTA

Jeff Bezos n’en fait pas mystère. Amazon a les yeux de Chimène pour la distributi­on alimentair­e. Un engouement qui n’a rien d’une passade. Le fondateur du no 1 mondial du e-commerce a lancé, dès 2007, Amazon Fresh, un service alors consacré à la livraison de produits d’épicerie. Mais c’est dix ans plus tard, avec le rachat de l’enseigne américaine Whole Foods, sorte de Monoprix bio, que le multimilli­ardaire a commencé à faire trembler les pontes : les Walmart, Leclerc ou Carrefour parviendro­nt-ils à résister au rouleau compresseu­r de Seattle ? Eclairage d’Adrien Delepaire, partenaire du cabinet Fabernovel.

En 2020, Amazon a-t-il encore accéléré et affiné ses concepts pour bousculer la grande distributi­on alimentair­e ? Adrien Delepaire L’année a en effet été très riche, avec le lancement à Seattle du tout premier Amazon Go Grocery, un espace de 1 000 mètres carrés où l’on trouve les denrées alimentair­es de base. Comme dans les Amazon Go classiques (24 aux Etats-Unis), tous les achats sont recensés automatiqu­ement au fur et à mesure grâce à un système de QR Code et de caméras. Le client est ensuite facturé via une applicatio­n dédiée. Le groupe de Jeff Bezos a également dévoilé un tout nouveau format, Amazon Fresh, et en a déjà ouvert dix autour de Los Angeles et de Chicago. Il s’agit de magasins de 3 000 mètres carrés – la taille d’un gros supermarch­é –, eux aussi totalement automatisé­s. Mais ces derniers s’appuient sur la technologi­e du Dash Cart, un chariot connecté capable de scanner les produits et de peser les fruits et légumes. Il peut vous guider en fonction de votre liste de course, car il se synchronis­e à l’assistant personnel d’Amazon, Alexa.

Pourquoi Jeff Bezos souhaite-t-il s’imposer sur ce marché encombré et aux marges réputées faibles ?

Car il est gigantesqu­e ! En France, il représente un chiffre d’affaires annuel de 160 milliards d’euros. Mais l’élément clef pour comprendre les ambitions de Jeff Bezos, c’est la récurrence. On mange trois fois par jour : autant d’occasions d’acheter, en faisant le pari qu’au passage vous craquerez sur un livre, un DVD… Avec, in fine, l’ambition que vous soyez totalement captifs de l’écosystème Amazon.

Au vu de sa logistique et de sa puissance financière, le match est-il déjà « plié » ?

Je ne pense pas. Bien que la vente en ligne ait triplé aux Etats-Unis pendant la pandémie, elle ne représente que 10 % des dépenses alimentair­es. Les distribute­urs ont des décennies d’avance, et ont préempté les meilleurs emplacemen­ts. C’est particuliè­rement vrai en France, où la grande distributi­on affiche un maillage du territoire exceptionn­el, et possède une longueur d’avance sur les achats en ligne grâce aux drives, un modèle franco-français. Sans parler du manque de légitimité d’Amazon dans ce secteur. La big tech pourrait, par ailleurs, être freiné par l’envol de l’américain Instacart, une entreprise spécialisé­e dans la livraison de produits alimentair­es par l’intermédia­ire des particulie­rs, qui connaît un succès phénoménal aux EtatsUnis, avec 45 000 points de vente, 500 000 « shoppers » et une croissance de 300 % pour l’année 2020.

La rumeur de l’arrivée d’Amazon Go Grocery en France se fait insistante. Cela vous paraît-il plausible ?

Bien sûr. Avec la pandémie, de nombreux restaurant­s et magasins risquent malheureus­ement de mettre la clef sous la porte, libérant ainsi des mètres carrés. Et en termes d’acceptabil­ité sociale et politique, ils pourront toujours souligner que plusieurs distribute­urs hexagonaux testent déjà des points de vente en partie automatisé­s, à l’instar de Casino près des ChampsElys­ées. Mais la France n’est pas une priorité pour Jeff Bezos : je ne pense pas qu’il y investira massivemen­t. En tout cas à court terme.

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A Seattle le 26 février, dans le premier Amazon Go Grocery, tout juste inauguré.

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