Les pistonnés du vaccin
Non éligibles pour recevoir une injection anti-Covid, certains tentent d’obtenir des coupe-file auprès des professionnels de santé. Pas toujours en vain.
Comme tous les produits rares, les injections de vaccin antiCovid-19 se négocient désormais sous le manteau. De manière plus ou moins subtile – et avec plus ou moins de résultats –, certains patients non prioritaires tentent ainsi se faire « piquer » avant leur tour en faisant jouer leur influence et à grands coups d’intimidation. Parfois, le bon piston leur permet de griller les étapes, en profitant d’une dose « perdue » de fin de flacon ou d’un désistement soudain. « Beaucoup de dirigeants ou de gens importants ont ainsi pu se faire vacciner via un contact bien placé ici ou là », assure le Dr Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes MG France. « C’est à la marge, mais ça existe », tempère-t-il.
Pour d’autres, le chantage affectif est considéré comme le meilleur moyen de passer devant tout le monde. Chaque jour ou presque, Franck avoue ainsi rejeter des demandes de patients non éligibles qui tentent d’obtenir une place dans son centre de vaccination du nord de la France. Cette semaine encore, son équipe a dû gérer les sollicitations pressantes d’un « éminent professeur » au carnet d’adresses bien rempli. Mais, malgré les cris et les menaces, l’infirmier libéral n’a pas flanché. « Il ne correspondait pas aux critères, donc c’est niet.»
Franck n’est pas le seul à raconter les caprices de ces patients influents, inquiets ou peu scrupuleux, auxquels certains professionnels finissent malgré tout par céder. Et s’il est aujourd’hui difficile de savoir combien de ces passe-droits ont déjà été accordés, les médecins interrogés par L’Express sont catégoriques : ils existent bel et bien. « Ici et là, des professionnels de santé à la retraite ou leurs proches de moins de 75 ans ont profité du piston de leurs anciens collègues », assure ainsi le Dr Luc Duquesnel, président du syndicat Les Généralistes-CSMF.
« Dans certaines structures, la transparence sur la vaccination est loin d’être totale », abonde Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé. « Verrons-nous bientôt l’apparition de passe-droits tarifés ? », va jusqu’à s’interroger la syndicaliste, qui préfère prévenir que guérir, sur ce sujet aussi. ✷