Survivalistes, l’autre terreau du terrorisme
Des individus, souvent issus de mouvances proches de l’extrême droite, attendent un effondrement de notre civilisation. Ils se préparent à la guerre.
Cheveux rasés, barbe naissante, style direct et parfois cru, l’homme, ex-militaire, s’exprime face caméra. « Le sujet reste assez tabou en France. La très grande majorité des survivalistes préfèrent se préparer discrètement dans leur coin […] pour ne pas être mal vus de leur entourage, pour éviter les problèmes judiciaires ou éviter qu’on vienne les faire c **** le jour où il y aura un problème. » Lui, au contraire, s’expose à visage découvert, quitte à déplaire. Sur sa chaîne YouTube aux 273 000 abonnés et aux près de 30 millions de vues cumulées, Code Reinho – son pseudo – prodigue en vidéo « son avis sur les armes à se procurer dans cette optique », celle d’un « effondrement ». Une crise à laquelle il se prépare de manière offensive, avec « beaucoup d’entraînement tactique ».
Sa démarche pro-armes assumée sur fond d’anticipation active du pire est plutôt atypique dans l’Hegaxone. Mais pas illégale. Même si la question de son influence peut se poser. Ses vidéos sont en effet mises en avant parmi d’autres sur le site Guerre de France, qui a réuni des membre de l’Action des forces opérationnelles(AFO). Une cellule d’ultradroite à tendance survivaliste qui a été démantelée en 2018. Elle avait comme objectif de « lutte(r) contre le péril islamique » et envisageait d’assassiner des « imams radicaux », d’attaquer une mosquée ou encore d’empoisonner des produits halal dans des supermarchés.
Un « pétard mouillé », « juste une dizaine de petits vieux qui se préparaient au pire », balaie notre ancien militaire. 16 ont pourtant été mis en examen, notamment pour association de malfaiteurs terroriste.
Les projets d’attentats fomentés par des individus d’ultradroite sont certes plus rares que ceux relevant de l’islam radical, mais ils existent bel et bien. Sur les 5 dossiers de ce type instruits par des juges antiterroristes, 2 sont particulièrement teintés de survivalisme. Si l’on peut tout à fait s’inscrire dans cette mouvance très hétérogène stimulée par la crise sanitaire sans partager
Ces personnes s’organisent en réseau, de manière clandestine, et cherchent à s’armer
une idéologie identitaire, les adeptes d’extrême droite représentent bien l’une des sous-familles du survivalisme. Leur particularité ? Quand d’autres imaginent un péril sanitaire, climatique ou économique, eux estiment que le danger vient de l’immigration, générant le spectre d’une guerre civile.
« Certains individus issus de mouvances suprémacistes blanches ou néonazies peuvent prôner le survivalisme comme théorie pour faire sécession, pour s’organiser quand arrivera le grand chaos qu’ils prophétisent », analyse Laurent Nuñez, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Les partisans d’AFO avaient prévu leurs zones de repli et stocké de la nourriture, des produits de première nécessité et des médicaments. Surtout, ils comptaient dans leurs rangs d’anciens policiers ou militaires, et cherchaient à recruter dans ces cercles. Une singularité qui n’a fait que renforcer les craintes des services spécialisés. Les Barjols, un autre groupuscule d’extrême droite soupçonné d’avoir projeté une action violente contre Emmanuel Macron en 2018, sont décrits eux aussi par les enquêteurs de la DGSI comme adeptes des techniques de survivalisme, tendance paramilitaire. Ces personnes s’organisent en réseau, de manière clandestine, et cherchent à s’armer, souvent légalement – un arsenal a été retrouvé lors des perquisitions dans ces deux affaires. « Quand ils sont angoissés par les vagues migratoires et la théorie du grand remplacement, ces survivalistes ont tendance à s’armer, même si c’est dans une optique plutôt défensive », note Bertrand Vidal, auteur de Survivalisme. Etes-vous prêts pour la fin du monde ? (Arkhê).
Ces profils en capacité de passer à l’acte inquiètent particulièrement les services de renseignement, à l’affût de potentielles dérives individuelles. D’autant que certains s’entraînent activement, dans nos campagnes mais aussi à l’étranger.