Un mutin nommé Bayrou, par François Bazin
Pour obtenir la proportionnelle de ses rêves, le centriste n’hésite pas à tordre le bras du président. A l’Elysée, la méthode agace.
Un mutant, des mutins ? On n’en est pas encore là, mais dans les coulisses du pouvoir, au-delà du Covid, il se joue une partie qui concerne à la fois un président fier d’être redevenu disruptif et ses alliés historiques pressés de lui tordre le bras. Emmanuel Macron déteste ça, paraît-il. En cela, il est d’une humanité très banale. Plus original, surtout dans la période, est le comportement d’un homme tel que François Bayrou qui, sur un mode roublard et obstiné, ambitionne rien de moins que de changer le visage de notre système politique via l’adoption au forceps, à un an d’échéances décisives, du scrutin proportionnel pour les élections législatives. Pour cela, le patron du MoDem avance deux arguments massues : la proportionnelle, c’est plus juste, et c’est aussi une promesse de campagne. Pourquoi donc reculer ? La vérité est sans doute un peu plus complexe : le candidat Macron s’était engagé en faveur « d’une part de proportionnelle » – sans davantage de précisions ; il avait lié cet engagement à une réduction drastique du nombre des députés ; enfin, plus qu’une promesse faite aux Français, tout cela était un élément de la dot dans un contrat de mariage entre puissances politiques devenues complices en toute fin de campagne. C’est ce contrat que François Bayrou entend faire respecter avant qu’il ne soit trop tard, en l’adaptant aux circonstances, qui imposent de faire simple. Son talent avéré étant d’habiller de principes jusqu’à ses intérêts boutiquiers, il invoque rien de moins que la démocratie, qu’il s’agirait de soigner en introduisant, via la proportionnelle, une culture du compromis dans un système institutionnel devenu impuissant à force de césarisme. L’ennemi, par déduction, c’est donc Jupiter, et l’on comprend qu’à son poste, surtout s’il compte rempiler, Emmanuel Macron y regarde à deux fois.
« Un roseau peint en fer »
A l’heure où nous mettons sous presse, comme on disait autrefois, nul ne sait quelle sera sa décision finale, mais il faut bien admettre que si la proportionnelle avait encore sa faveur évidente, il y aurait belle lurette qu’il aurait topé avec ceux qui le pressent. A partir de là, il est clair que le débat entre François Bayrou et lui prend une nouvelle dimension, qui n’était peut-être pas voulue initialement, mais qui s’impose inéluctablement avec, en toile de fond, l’autorité du président et sa capacité à ne pas céder aux pressions quand bien même celles-ci viendraient de sa propre majorité. Résister à Véran et Delfraissy pour ensuite s’incliner devant Bayrou, évidemment, ça serait un peu ballot, vu le plan média concocté à l’Elysée. Il ne manquerait plus qu’après ça quelques esprits malicieux appliquent à Emmanuel Macron ce trait d’Edgar Faure visant Jacques Chirac : « Un roseau peint en fer. » Dans la période récente, d’autres que le leader du MoDem se sont essayés à pareille opération. Non sans succès. On pense notamment à Manuel Valls qui, lui aussi, rêvait en 2017 d’un gouvernement de coalition et qui, sur la question de la République et, partant, du séparatisme islamiste, s’est ouvertement vanté d’avoir contraint le président à renoncer à ses anciennes convictions « libéraleslibertaires ». Ce fut « cruel et brutal », a-t-il été jusqu’à confier, tandis qu’un intellectuel de sa mouvance, Pascal Bruckner, déclarait, goguenard, au Figaro, fin décembre : « Nous (c’est un nous collectif ) avons mis trois ans à persuader le président du danger de l’islam politique. » Avant de s’interroger benoîtement : « Faudra-t-il trois ans de plus pour l’écarter des thèses décoloniales ou indigénistes venues des Etats-Unis ? »
Dialogue et compromis
On devine la réponse depuis que, avec candeur, Frédérique Vidal a mangé le morceau ; mais pour en revenir à François Bayrou, ce qu’il y a de plus notable dans sa nouvelle offensive, c’est l’adéquation qu’il aimerait souligner entre les méthodes qu’il emploie aujourd’hui pour parvenir à ses fins et l’objectif qu’il vise en promouvant une large proportionnelle. Si on le comprend bien, son but est d’institutionnaliser une pratique de la négociation qui ne passerait plus par la pression indirecte, nécessairement « cruelle et brutale » pour l’une ou l’autre des parties en présence, mais par des procédures de dialogue visant au compromis entre forces partisanes adultes parce que plus justement réparties. L’ennui, comme toujours en politique, c’est le contexte, avec un président en précampagne, pressé de réaffirmer haut et fort son entière liberté. La contradiction, c’est l’usage du bras de fer pour promouvoir la poignée de main. La vérité enfin, qui peut très bien se défendre à la seule condition de ne pas la masquer, est que pour rendre du pouvoir au peuple dans une démocratie vraiment représentative, on veut en redonner d’abord aux partis et à leurs dirigeants élus.