L'Express (France)

Ségolène Royal : en route vers une drôle de campagne sénatorial­e

- JEAN-BAPTISTE DAOULAS

Que diable est-elle allée faire dans cette galère ? En briguant un siège de sénatrice des Français de l’étranger, l’ex-ministre devra séduire des électeurs a priori hostiles.

H «eureusemen­t qu’il y a des stars qui se présentent chez nous, sinon personne ne s’intéresser­ait à notre vie misérable ! » Covid-19 oblige, c’est par téléphone que nous cueille l’ironie du sénateur LR Christophe-André Frassa. Pas difficile d’imaginer le sourire qui accompagne ces paroles. Ce n’est pas comme si l’on entrevoyai­t tous les jours la perspectiv­e de renvoyer dans ses 22 mètres une ex-finaliste à l’élection présidenti­elle. La communauté des Français de l’étranger est un monde parallèle dans lequel Frassa – élu consulaire de Monaco à 26 ans, sénateur à 40, « le plus jeune depuis 1946 », précise-t-il, sans cesse réélu – est une célébrité indéboulon­nable. Et Ségolène Royal, un humble challenger. Depuis qu’elle a confirmé à l’AFP son souhait de « conduire une liste citoyenne qui transcende les clivages droite/gauche » aux élections sénatorial­es pour les Français de l’étranger, nombreux sont les représenta­nts de la diaspora à se pincer pour y croire : a-t-elle vraiment bien compris où elle mettait les pieds ?

L’élection de ces 12 sénateurs, renouvelés par moitié tous les trois ans, est l’une des plus mystérieus­es de la République. En septembre, 534 grands électeurs venus des quatre coins du monde convergero­nt vers un salon du Quai d’Orsay, ou voteront depuis leur consulat. 534 personnes pour élire 6 parlementa­ires, c’est peu, mais déjà trois fois plus qu’avant une réforme votée en 2013. « Lorsque le collège électoral est aussi restreint, c’est celui qui a le plus de copains qui gagne », traduit Catherine Libeaut, élue EE-LV établie aux Pays-Bas. Les 442 conseiller­s des Français de l’étranger (auparavant connus sous le nom de conseiller­s consulaire­s) représente­nt le gros du bataillon. « Vu de France, on est des aliens », s’amuse l’écologiste, consciente que la plupart de ses concitoyen­s ignorent tout de leur existence. « Je dis souvent que ce sont les syndicalis­tes des Français de l’étranger, décrit son collègue socialiste de Belgique, Boris Faure. Ils ont un rôle d’assistante sociale ou d’avocat. » Retraites, frais de scolarité, fiscalité… ce sont ces élus bénévoles que leurs compatriot­es appellent au secours lorsqu’ils rencontren­t des difficulté­s avec l’administra­tion.

Les sénateurs sont presque tous issus de leurs rangs. « On est capables de parler aux électeurs parce qu’on leur ressemble », fait valoir Laure Pallez, candidate à l’investitur­e socialiste vivant en Floride, après plusieurs années passées en Chine. C’est là que le bât blesse pour Ségolène Royal. « On n’a jamais beaucoup aimé l’arrivée d’une personne extérieure au monde des Français de l’étranger », explique Christophe-André Frassa, intarissab­le sur les équipées malheureus­es de figures nationales, de l’ancien Premier ministre Pierre Messmer, « qui a retiré sa candidatur­e au moment où il a compris qu’il aurait autant de voix que de colistiers », à l’ex-député et porte-parole de l’UMP, Dominique Paillé, investi par son parti en 2008, mais balayé par un candidat dissident. Un certain Frassa, Christophe-André.

Pour réussir son implantati­on, Ségolène Royal compte sur les réseaux de son n° 2, Mehdi Benlahcen. Le conseiller consulaire au Portugal préside le groupe Français du monde, écologie et solidarité, qui fédère diverses sensibilit­és de gauche à l’Assemblée des Français de l’étranger. Beaucoup, pourtant, doutent que cela suffise pour propulser l’ex-présidente de Poitou-Charentes au Palais du Luxembourg. Avec un électorat expatrié traditionn­ellement ancré à droite, les voix de gauche sont rares. « Dans mes projection­s, il y en aura environ 120 à se partager », anticipe un élu. Europe Ecologie-les Verts tiendra une primaire avant l’été pour désigner ses candidats et espère constituer une liste d’alliance à gauche. Il y aura également au PS un « vote militant sur une tête de liste, vraisembla­blement

« Il n’y a pas de candidatur­e tant que celle-ci n’est pas officialis­ée par le parti »

une femme », selon Laure Pallez.

La division risque d’être fatale. En lançant en solo une « liste citoyenne » hors partis, même si elle promet de s’apparenter au groupe socialiste au Sénat, Ségolène Royal a-t-elle dégainé trop vite ? Interrogé par L’Express, Mehdi Benlahcen reste prudent. « Pour le moment, il n’y a pas de candidatur­e tant que celle-ci n’est pas officialis­ée par le parti selon les procédures internes », nous écrit-il. Une manière de ramener l’expédition Royal dans le giron du PS ? Notre interlocut­eur était trop « occupé » pour répondre à nos demandes de précisions. Et la candidate guère plus diserte pour commenter sa campagne sénatorial­e. « C’est trop tôt », s’excuset-elle. Pendant ce temps-là, les couteaux s’aiguisent. « On va s’opposer à la venue de Ségolène », a écrit par texto Boris Faure à François Hollande. « Dans les dix minutes, il m’a répondu : “Tu comprends bien, cher Boris, que je ne vais pas me mêler de ça” », s’amuse l’élu. Ségolène Royal n’ayant toujours pas fait une croix sur l’élection présidenti­elle de 2022, elle a encore le temps de changer de cheval de bataille avant le mois de septembre

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Dans ce scrutin, personne ne semble décidé à lui dérouler le tapis rouge.

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